mercredi 22 juin 2011

Lunar Park de Bret Easton Ellis

Chose promise, chose due... J'ai terminé ce roman depuis quelques semaines déjà, et je me dépêche d'écrire avant d'oublier.
J'avais envie de lire cet auteur depuis longtemps, son nom trottait dans ma tête comme un leitmotiv intérieur, bizarre, bizarre. Et puis belle-maman m'a offert Lunar Park...

Au démarrage, je me suis demandée où j'étais tombée. J'ai eu peur de l'effet best-seller américain, le sentiment que ça puisse être très creux, un peu mégalo, ou très bien. Ces oscillations ont vite cessé quand je suis entrée dans l'histoire.

D'abord, le personnage. Ultra-classique (quadra, écrivain à succès, polytoxicomane et volage) il n'en est pas moins attachant. Il excelle dans la veine "essaye honnêtement de se refaire une santé mais se laisse vite rattraper par ses vices, lutte gentiment avant d'échouer avec enthousiasme". J'ai beaucoup pensé à Djian (qui a quand même été mon auteur fétiche de 16 à... allez, 31 ans !) en lisant certaines de ses tribulations, c'est drôle. D'ailleurs, Djian, toujours en admiration devant les auteurs américains, parle ici de littérature en général, et de ce bouquin en particulier.

Ensuite l'intrigue. Extrêmement bien amenée, inattendue et captivante, justement parce qu'on s'attend aux péripéties courantes chez ce genre de grand ado de 40 ans. Une aventure avec une étudiante qu'il s'autorise à courtiser. En découlent inévitablement des ennuis avec sa légitime, dont il a pourtant tellement besoin sur le plan affectif... De pitreries en cachotteries, de cuites en bad trips, on pourrait s'acheminer vers du grand basique, simple et efficace pour passer un bon moment, mais rien de neuf sous le soleil littéraire.
Et puis non. C'est tout le contraire. Tellement c'est neuf, ça sent encore la peinture ! (hé oui, j'avais envie, arf !) C'est un patchwork, ce bouquin, un patchwork très bien réalisé, où tout est fondu et enchaîné. Il y a  bel et bien ce personnage trop classique pour être vrai. Il y a des éclairs de finesse psychologique, avec des vrais morceaux de souffrance dedans. Et puis il y a cette lente descente vers l'horreur et l'angoisse. On y croit, tout en se demandant quel est le sens de l'histoire. Et en définitive, on est un peu paumé. Au cours de la lecture, on s'attend à bien des choses. Mais ce n'est jamais ce qu'on attend qui arrive, et on est surpris jusqu'au bout. Bonne lecture !

mardi 7 juin 2011

H comme Hommage. Merde !

Jorge Semprun est mort.

Certes, j'aurais pu écrire un hommage quand Mano Solo est mort, et je ne l'ai pas fait, et c'est trop tard.

Ceci dit -et ça n'a rien à voir- je ne raterai pas une belle occasion de parler de Jorge Semprun.

D'abord vous parler de celle qui me l'a fait lire. Ce n'est pas quelqu'un que j'ai particulièrement en estime. Juste une Maître de Conférence rencontrée à l'IUFM quand je préparais le concours. D'origine argentine, elle ne jurait que par Jorge Semprun (prononcer Rhorrr'rhé Semmeproune, ce qui est la prononciation phonétique en espagnol, ou [ˈxorxe semˈpɾun] selon la phonétique officielle, eu égard à mes amis profs d'espagnol) et ça m'étonnait. Donc, j'ai lu. Et j'ai été encore plus étonnée.

J'avais 22 ans. Je vous le dis tout de suite, j'ai été subjuguée par Semprun, son acuité humaniste et son sens du récit.


Le grand voyage est glauquissime, et vaut Si c'est un homme de Primo Levi. Bien. Très fort, au delà de tout ce qui se fait aujourd'hui sur la déportation, forcément (un jour il faudra que je m'étende plus sérieusement sur ces romans qui gambadent sur l'extermination des juifs, parce que ça sent un peu le vomi, à force). Jorge Semprun raconte et raconte et raconte jusqu'à plus soif, avec dignité et sans artifice, le long voyage en train des déportés jusqu'à Buchenwald en 1943. Il publie Le grand voyage 20 ans plus tard.

L'écriture ou la vie donne du sens à nos vies. Aucun doute. Je vous passe les détails, mais votre quotidien n'est que peu de chose en comparaison. La difficulté de survivre à l'adversité totale, le questionnement sur les autres et soi, incessant et taraudant, et dans toute sa violence. L'écriture, et surtout l'amour, qui lui permettent de sortir de l'abîme. Et finalement, la vie qui gagne, comme en témoigne Adieu, vive clarté.

Adieu vive Clarté, c'est celui que j'aime le plus. Roman de la découverte, de la pureté adolescente à l'assaut de la vie, comme si rien de ce qui s'était passé avant n'avait atteint l'homme en profondeur... C'est un livre incroyable et grandiose. Je me souviens avoir, fraîchement arrivée à Paris, pleuré sur un banc, place de la Contrescarpe (celle que Semprun célèbre comme la plus belle de Paris, alors qu'il arrive à Paris et combat son accent espagnol).

Comme si tout mon humanisme était relié de près ou de loin à Jorge Semprun.


Et il est mort.

Depuis, j'ai lu des nouvelles, des textes plus ou moins bons ou mauvais, avec ce sentiment qu'il était revenu de tout. C'est étrange, incompréhensible, ou au contraire si simple. Faut voir. Mais il est tard, et il est mort.

Est-ce que ça change vraiment quelque chose ?


"... je cherche la région cruciale de l'âme où le Mal absolu s'oppose à la fraternité."
André Malraux


PS : ça ne se fait pas, mais je dédie ce billet à David, Bertrand (et Félix ?) que la lecture de J. Semprun a beaucoup fait rire.