vendredi 12 avril 2019

Semainier ou peut-être journal #2

Hier soir j’ai enfin regardé La Pointe Courte d’Agnès Varda. Depuis le temps que j’en avais envie. La Pointe courte, c’est tout près de chez moi, j’y suis allée il y a dix jours. Une sorte d’hommage en retard. J’ai pris plein d’images.

Au début du film, j’avais des pensées pour Anne Savelli et pour Juliette Mézenc dont – pour une raison que j’ignore – la promenade à la Pointe Courte en mai 2018 a laissé une trace vive dans ma mémoire. Peut-être parce que j’avais échangé quelques mots avec Anne la veille de cette ballade, parce que Ditta Kepler m’avait fait forte impression, parce que je terminais cette formation sur les ateliers d’écriture où Juliette est formatrice et m'a beaucoup appris.

Je regardais les images d’Agnès Varda en me disant que c’était beau et tendre, en pensant que c’était étrange tous ces sétois qui n’ont pas du tout d’accent, alors que depuis que je suis arrivée ici j’ai bien vu - entendu - que leur accent est des plus incompréhensibles. Je me demande si le film a été doublé, je ne suis pas allée vérifier. En voyant les enfants de la Pointe Courte, je pensais à mon copain Serge, un sétois né en 1950 ; le petit Daniel dans sa boîte en bois, ça aurait pu être lui. Mais Serge, les premières fois où il m’a parlé, je n’ai pas compris ce qu’il me disait. Il faut un peu de temps, pour comprendre un sétois !

Et puis surgissent Philippe Noiret et Silvia Monfort. Ils sont drôles, à traverser les lieux avec leur valise : lui et sa coupe moyenâgeuse ; elle, son visage quasi-extraterrestre. Ils poursuivent pendant tout le film un long dialogue poétique, précis, juste, sur leur histoire d’amour dans le temps qui passe.

Les anguilles glissent sur l'écran, les hippocampes immobiles nous regardent du coin de l’œil, les chats font de longs étirements d'acteurs capricieux, le linge qui sèche dessine ses ombres délicates. Mes pupilles se délectent de chaque minute.

Je glousse de plaisir quand, pendant une scène où des pêcheurs se parlent, la caméra glisse sur le décor, se détourne de la scène, admire longuement les morceaux de bois, l’étang, le paysage… Les personnages continuent leur dialogue, pas contrariés d’être ainsi délaissés. Naît alors une complicité intense avec la personne derrière la caméra. Il y a la vie qui continue, quoique fasse la caméra, où qu'elle regarde. Il y a l’histoire qui n’en est pas une, ou pas seulement pour la caméra. L’effet est sidérant de réel, d’exactitude.

Les méditations amoureuses du couple se superposent littéralement, dans les plans, au décor de la Pointe. Le contraste est puissant entre les préoccupations des pêcheurs – l’eau contaminée de l’étang et l’interdiction de pêcher les coquillages, la mort d'un enfant, un jeune couple qui se cherche et l’inquiétude du père, le séjour en prison du jeune homme qui sort pour les joutes – et le long poème d’amour à deux voix porté par les parisiens et leurs accents de théâtre grec.

Il n’y a presque pas d’interaction entre les deux mondes. Certains plans le disent, avec une sorte de fureur, avec violence. En 1954, Agnès Varda nous dit, dans les creux d'une esthétique somptueuse, que les mondes sociaux sont imperméables. Chapeau.

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