jeudi 14 juin 2012

Les heures

Heure [1]
Et puis je n’ai plus pensé qu’à toi parce que mon cerveau vide sans personne pour l’habiter ce n’était pas vivable j’ai rêvé ton corps jusqu’à l’absurdité imaginé ce baiser répété des milliers de fois sans trouver jamais le bon angle je n’y crois pas et pourtant j’ai évoqué jusqu’à l'obsession tes yeux sombres cernés d’insectes noirs qui ondulent sur mon cœur amolli. J’ai pensé mille et une fois à toi à toi à toi pour ne pas penser à moi à moi à moi j’avais peur de l’amertume et de la désillusion du risque à m'amouracher si fort et si brutalement et si je m’étais trompée sur toute la ligne (de métro) et si ce train pressé avait fait tourner en moi une chimère prétentieuse et limpide selon laquelle tu me désires ? La seule utopie valable celle d’un baiser rendu fou par l’urgence et volé là sur le bord blanc bosselé du quai.
Elle est longue l’heure où je m’essouffle à vaticiner dans chacun de nos recoins amoureux à battre la campagne à la suite de toutes petites impressions qui dressent les murs de cette maison dans laquelle tu veux de moi. Elle est longue l’heure et j’y prends un plaisir malin comme un bébé avec son pouce comme quelqu’un qui veut s’en aller du monde et flotter entre deux eaux pour toujours c’est un délice insatiable une rêverie inassouvie dont rien ne peut me tirer sauf peut-être toi si tu étais là mais tu es déjà loin perdu dans un livre égaré dans je ne sais quelle pensée simple ou malhonnête.
Car je ne sais à quoi ressemblent tes pensées ton altérité abrupte et sans appel me renvoie comme une balle contre le mur de la solitude insondable et me confine au bord du gouffre petite fille paumée dans le vent véhément qui agrippe ma robe et griffe mes joues humides et blanches.

Heure [2]
Et puis je n’ai plus pensé à toi, parce que ce n’était pas utile de traînasser autour de cette envie vague et douloureuse et pas seulement charnelle. Il fallait fuir aussi le désir d’être collé à toi pour toujours, comme une bouée qui serait prolongement, un morceau de moi. Je n’ai pas voulu, je préfère disparaître en coulée ventrale tel un serpent, un lézard ou un macareux solitaire, car je sais l’isolement mieux que quiconque ici et j’ai rangé depuis longtemps les mirages avec les songes et le reste des trompe-l’œil. J’ai jeté la plupart des fièvres et des ivresses avant de remettre le couvercle et de m'asseoir dessus, tranquille pour longtemps. Depuis je ne me souviens même plus avoir vraiment rêvé. Enfant j’étais déjà malheureux, il m’a fallu des saisissements toujours plus forts jusqu’au jour où tout a explosé, j’ai du ramasser les milliers de morceaux de moi à la main et ce fût très long. Éparpillé partout, je me suis réparé comme j’ai pu et promis de ne plus jamais souffrir ni souffrir. Le plus sûr était de capituler avant tout combat, abstention à l’histoire, désistement de la vie. Je n’ai pas voulu réfléchir ton regard avec mes yeux tristes, car je ne suis pas un miroir, ou alors sans tain.
Elle est longue cette heure où je m’efforce d’éviter l’assaut de toi dans mes pensées... Laisse-moi, laisse-moi seul avec moi, je n’ai besoin de personne et surtout pas d’une désespérance supplémentaire. Va t’en s’il te plaît loin de mon esprit qui ne sait plus s’abandonner au transport amoureux. Il n’y a rien d’aisé dans la chute sentimentale : il faut conjurer le sort, s’obstiner et se résoudre à endurer l’accroche à l’autre, alors que tu ne seras jamais complètement mienne, jamais complètement l’aile brillante d’un palais que nous bâtirions à mains nues.
Alors il vaut mieux partir en regardant le sol grisâtre, oublier les constellations, la fleur rouge et l’invasion du désir qui parfois obscurcit ma raison. Rentrer au château-fort et contempler le monde à travers les meurtrières de ma pensée.




Vous aimez ? 
Lisez la première partie : Les Minutes 
Et la suite : Les Jours



mercredi 13 juin 2012

Tentative d'épuisement d'un lieu parisien (à la manière de Georges Pérec)

Jardin Villemin, Paris 10ème.
8 juin 2012.

15h15 - Au pied d’un gros arbre, près de l’entrée située à l’angle de l’Allée du professeur Jean Bernard et de l’avenue de Verdun.
Un homme un peu âgé passe avec un parapluie.
Un pigeon roucoule. Je suis abritée par l’arbre, assise sur ses racines, au sec alors que tout est mouillé. La pluie vient de tomber, soleil de retour.
Un femme passe. Puis deux hommes. dont l’un me souhaite bon courage.
Puis un homme vêtu d’une veste claire et d’un chapeau.
Un jeune homme, de type asiatique, coiffé d’une casquette. Déjà croisé tout à l’heure
Un homme vêtu d’un blouson clair avance en téléphonant, et regarde autour de lui d’un air inquiet.
Un homme avec un parapluie mauve. Les pigeons qui s’écartent devant lui.
Une femme, grande.
Un homme étrange vêtu d’une doudoune, porte un attaché case en plastique vert turquoise. Apparence évoquant la pauvreté.
Un homme noir avec un polo mauve.
Un homme noir avec une cigarette et une bière, s’approche d’un banc en marchant, en sandales, dans les flaques d’eau. Pose sa bière sur le banc en face de moi, et observe, debout, les joueurs de pétanque situés de l’autre côté de la petite barrière. Je vois son dos.
Un groupe passe.
Un homme avec un grand sac de voyage. Jette quelque chose dans la poubelle puis replace son grand sac sur son dos.
Une femme âgée avec des lunettes de soleil.
Un jeune homme (lycéen ou étudiant ?)
Un autre jeune homme. Même interrogation.
Un homme âgé avec une casquette et des lunettes.
Une femme âgée avec un sac plastique rose. Ralentit pour regarder les joueurs de pétanque en passant. Elle a envie de jouer, ou la pétanque lui rappelle des souvenirs heureux ?
Une éclaircie. Les pigeons roucoulent.
Le jeune homme noir à la canette de bière est toujours debout à côté du banc.
Coup de vent.
Un homme, la soixantaine, chemise, passe en fumant, se lisse les cheveux, très blancs.
Une femme jeune, bottes fourrées et doudoune.
Une adolescente fixée sur son portable.
Un homme d’âge moyen, sac au dos, marche en regardant par terre.
Un jeune couple. Lui : lunettes de soleil. Elle : jean et bottines marron clair.
Une femme avec une poussette.

Un peu plus loin à droite, je vois le petit chalet devant lequel sont rassemblés un groupe d’hommes très bruns, la peau mate. Je les ai vus en passant, la première fois.
A côté, côté terrain de pétanque, un autre petit chalet. Des boulistes, têtes chenues.
CLUB
LA BOULE DU DIX ? (je suis trop loin)
Des gens passent.
Juste à ma gauche, une petite pelouse.
Un couple de trentenaires, vêtus avec élégance, sortent du jardin.
Devant moi, sur la gauche : la sortie.
Un homme avec un keffieh sur la tête et un pantalon de treillis téléphone. Il est avec un autre homme en baskets.
Deux femmes qui parlent en marchant, l’une près de l’autre. Sac BATA. Haut corail vif.
Un homme avec une poussette. Le bébé a un bonnet et des joues rebondies.
Un homme en K-Way, hâte le pas.
En face de moi, à travers les arbres, j’aperçois un immeuble blanc, haussmannien, moderne.
Un homme vêtu d’une veste en cuir sur un pull bleu électrique, lunettes de soleil.
L’homme à la bière quitte le banc.
Passe un autre homme, noir, avec un sac à dos.
Un trentenaire pressé téléphone.
Encore un homme-sac-à-dos.
Une paire d’hommes sort du parc. Sac à dos / lunettes.
Un jeune homme.
Deux hommes encore !
Un homme en jean veste de sport verte baskets sac-à-dos fume. Fait soudain demi-tour et me regarde un instant.
Trois jeunes garçons arrêtés près du banc, sweats aux couleurs unies et tranchées. Ils s’immobilisent en formant un carré parfait, deux devant, deux derrière. Fixent quelques instants les vieux boulistes. JAUNE / ROSE / VIOLET / BLANC. Tous très bruns, peaux mates. Scène splendide et fugace. Envie de photo. Ils repartent.
Un homme la soixantaine, sans sac-à-dos.
Un jeune homme, grand, téléphone sur l’oreille, fume. Stationne près du banc.
Une fille en ballerine bleues se hâte.
Le grand jeune homme parle au téléphone dans une langue étrangère. S’assied sur le dossier du banc. Fume toujours.
Une trentenaire ronde. Du jaune et du noir.
L’homme du banc crache. Me regarde.
Un homme âgé marche lentement. Les pigeons se déplacent à peine à son passage.
Deux femmes, dont une en jupe noire, talons et haut rose fuchsia.
Deux hommes encore entrent dans le parc.
Un homme à capuche arrive près du banc. Salue celui qui est assis sur le dossier. Ils discutent, langue étrangère.
Deux lycéens passent, suivis d’une femme en ballerine panthère. Sortent du parc.
Un homme âgé, l’air très pauvre, me dévisage. Marche en direction de la sortie, et se retourne encore pour me regarder. Il porte un pantalon vert kaki et des baskets bleues usées.
Deux hommes jeunes passent, comme au ralenti.
Un homme âgé entre dans le petit parc du terrain de boules, rejoint les pétanquistes. Assez vite, je ne le vois plus.
L’homme du banc est debout de nouveau. Crache encore une fois.
Un grand homme jeune, nonchalant, passe près de moi. Lunettes et converses.
Quatre hommes, dont deux parlent une langue étrangère.
Un homme, âgé, d’apparence très pauvre. Casquette et sac à dos rouge usé et sale.
Les deux quittent le banc et passent près de moi.
Un homme blanc en short.
Un homme noir avec un sac jaune.
Un homme (sans domicile fixe ?) titube, vêtements sales mais un gros trousseau de clés accroché autour de son cou. Surprenant.
Une femme passe en courant. Jupe noire et sac jaune GIBERT.
Un homme jeune entre dans le terrain de pétanque.
Deux hommes très bruns, peau mate, sac-à-dos-baskets. Migrants ?
Une femme porte un cabas rose et marche avec une béquille. Suivie par une petite adolescente qui traîne une valise à roulettes et porte un sac plastique Orangina. Touristes ?
Puis trois femmes à la suite. C’est rare !
Cris d’enfants. Ils sont arrivés dans le parc à jeux situés derrière moi.
L’homme à la casquette bleue repasse avec son sac-à-dos rouge et consulte son portable.
L’homme qui m’a dévisagée tout à l’heure repasse.
Encore deux hommes jeunes qui parlent une langue étrangère.
Un homme jeune marche en regardant derrière lui. Il percute presque de plein fouet homme plus âgé. Puis il attend un autre homme qui porte deux sacs-à-dos. Toujours la même langue étrangère.
Je me demande soudain quelle langue parlent les afghans.
Un homme avec un grand sac à dos et une doudoune.
Du  vent. Des cris d’enfants qui jouent.
J’ai mal à la main. Le banc le plus proche a l’air d’avoir séché. Je vais m'asseoir dessus.
Non. Il est couvert des crottes d’oiseaux. Je reviens sur ma racine.
Deux jeunes hommes déjà passés repassent.
Un homme en short gris et veste en cuir.
Un couple.
Je change légèrement de place au pied de l’arbre. Je vois mieux le parc à jeux et les enfants.
Encore un homme qui crache en passant. Sans sac à dos, veste en cuir.
Il passe devant moi, puis, devant le banc suivant, il fait brusquement demi-tour. Sort un mouchoir de sa poche, essuie longuement le banc et s’y installe. Boit un Coca-Cola.
A gauche un homme noir, âgé, porte un pull vert et des lunettes de soleil.
Deux femmes. Beaucoup de mauve.
L’homme jeune sur le banc à ma droite, celui qui a essuyé son banc, fouille dans sa poche. Longtemps.
Une femme noire, une femme blanche.
Un homme. Puis un groupe de cinquantenaires un peu hippies. Deux hommes et deux femmes.
Je change de stylo pour un noir, qui va mieux.
Petit garçon à lunettes, blouson rouge.
Trois femmes jeunes debout au milieu du parc à jeux.  
Les enfants crient et chantent “Madame Maya ! Madame Maya ! (trois fois)
Un homme, trentenaire, blanc.
Trois préadolescents :
            un noir à casquette
            un blanc à sac à dos rouge
            un asiatique à sac à dos vert
Un homme en jean baskets
Le même homme en pull vert et lunettes solaires que tout à l’heure.
Une femme ronde écharpe blanche et vêtue de noir.
Des pigeons...
Toujours le même jeune homme avec son gilet à capuche. Fume.

L’homme croisé à l’entrée du parc, toujours déambulant et bavardant au téléphone.
Le jeune homme qui fume repasse et me regarde. Je me demande si je vais devoir m’en aller.

Une jeune fille brune.
Une femme rousse en talons.
Une femme mince avec deux sacs à mains, vêtements clairs.
Un homme en chemise et veste de cuir. Sac jaune GIBERT et lunettes solaires. Passe en regardant son mobile.
Rayon de soleil. Vert, éclaircie.
Deux femmes, deux poussettes doubles, bien remplies, quatre enfants.
Le jeune homme qui a essuyé sa place sur le banc est toujours là.
Un homme blanc avec un sac à dos.
Une femme, poussette rouge et bébé allongé.
Un homme tee-shirt bleu, baskets rouges.
Un homme passe en courant devant moi, me regarde en disant “il y a de belles jeunes filles ici”.
Les préadolescents ressortent du parc après avoir chahuté.
Un homme noir avec un foulard.
Trois femmes de suite !
Une femme encore... Non ! C’est un groupe de femmes !
K-Ways... Touristes ?
Une femme noire au téléphone.
Une femme avec un sac Fnac.
Un homme avec un pull à rayures vert.

15h45. J’ai vraiment mal à la main (annulaire + auriculaire). Envie d’être au soleil.
Je bouge.