mercredi 31 mars 2021

Semainier #12 Rejoindre l'écriture passe par la métaphore

31 mars 2021

Alors il faudrait écrire pour rejoindre l’écriture ? C’est le projet, en tout cas. C’est vrai, pour écrire, il faut bien commencer à écrire. Actionner les mécanismes, comme dit Philippe Castelneau dans nos derniers échanges, qui sont à la fois fructueux et encourageants. Qu’est-ce qui peut faire passage, pour moi, de l’ordinaire de la vie à l’écriture ? A cette heure-ci, au moment d’entamer les trois heures d’écriture qui sont inscrites dans mon agenda, au moment de me remettre à écrire pour le roman en cours, je suis envahie pas mon travail. Une nouvelle demande d’intervention, une curiosité pour les pistes qu’elle ouvre, des perspectives de réflexion, d’action, des équipes à accompagner. Des pensées pour d’autres chantiers qui me ramènent eux aussi à l’agenda du travail : est-ce que j’ai noté de rappeler untel ? comment se cale l’agenda de la fin d'année si j’essaie d’y intégrer cette possible nouvelle intervention ? aurai-je toujours le temps que j’ai prévu pour l’écriture si je réponds à cette nouvelle demande ? Etc.

J’ai envie d’un thé. Ce n’est plus l’heure, mais je vais m’en préparer un quand même, tant pis si je ne dors pas. J’en profite pour manger du chocolat, beaucoup. Parler avec mon fils, chahuter un peu, profiter de sa présence, de sa bonne humeur. En écrivant ces mots, je me rends compte que ce que je suis en train d’écrire, ce passage de mes notes est déjà adressé. Je le remarque aux corrections que j’effectue au fil du texte. Je ne prendrais pas la peine de rectifier de cette façon si je n’avais pas déjà en tête que ce passage irait bien dans le semainier.

En fait, la bascule entre l’écriture pour soi et l’écriture pour le journal sur le blog s’est faite dans la cuisine, un peu avant l’arrivée de mon fils. Pendant que l'eau chauffait pour le thé, je regardais par la fenêtre en réfléchissant à cette histoire de passage vers l’écriture. M’est venue l’image d’une passerelle, un pont de singe - j'avais écrit pont de signe... sûr que cette "faute qui frappe" aurait plu à Erika Fulop, ou le lapsus à l'ami Lacan - ou un étroit sentier pour rejoindre un lieu autre, une destination qu’on fait l’effort de rejoindre parce qu’on sait qu’on y est bien. J’ai imaginé que j’allais écrire au sujet de ce passage pas très facile, un peu vertigineux, qu’on se force à emprunter pour parvenir là où on veut. Et j’ai su que quand je l’aurais fait, presque avec certitude, j’y serais. De l’autre côté du passage.

M’est venue la phrase : rejoindre l’écriture passe par la métaphore.

C’est comme ça que ça s’est présenté pour moi, aujourd’hui, en faisant un thé.

Maintenant, la première tasse est bue. Le temps a passé dans l’écriture. L’écriture s’est passée, elle a pris un certain temps. Son temps pour passer.

Et j’hésite : vais-je aller publier ce billet sur le blog immédiatement ? Le temps de chercher une image et de faire les inévitables et toujours nombreuses corrections qui viennent une fois le texte collé dans l’éditeur du blog, il se sera écoulé trente minutes de plus, sans doute. Me resteront donc deux heures. Deux heures, si je suis satisfaite, si je suis concentrée, si je suis soutenue par la brève satisfaction de la publication d’un billet de blog, soutenue par la possible lecture par des yeux amis, si je suis chaude, lancée, réchauffée par ce premier trajet dans l’écriture, cette traversée pour rejoindre le lieu qui m’intéresse… Deux heures, c’est beaucoup.

Mais au fait, le pont ? Tiens, la métaphore annoncée ne s’est pas dessinée dans le texte. Peut-être que ça suffit. Peut-être une prochaine fois. Peut-être que c’est à vous de dire comment sont vos chemins, vos ponts et vos sentiers, vos passages, pour y aller…

lundi 22 mars 2021

Semainier #11 Quelque chose à dire sans attendre l'écoulement de la semaine

 21-22 mars 2021

De nouveau la tentation d’écrire à propos de ne pas écrire.

Le travail éditorial : pour l’heure, une fatigue énorme, et en comparaison une minuscule satisfaction d’avoir abouti. Une question lancinante au creux du corps, alors que les livres s’apprêtent à sortir : à quoi bon publier des livres, si pendant tout ce temps je n’ai plus le temps d’écrire ? Comment survivre au décalage irrémédiable entre le moment de l’écriture (celui de la mise en œuvre du désir) et le moment de l’hypothétique lecture par des inconnu.e.s (celui d’une gratification attendue et probablement fictive) ?

Réponse (provisoire ?) : avoir écrit (avoir mis en œuvre son désir) ; avoir poussé les textes au niveau d’exigence maximal possible à ce moment-là, être allée au bout (se donner cette gratification à soi-même).

Après écoute de François Bon sur Patreon à propos d’écriture, à propos de méthodologie pour écrire un livre, à propos de peut-on encore écrire des histoires aujourd’hui, ce qui remue au fond de moi c’est le texte à venir, le roman entamé dans l’atelier l’été 2020, et abandonné pour cause de nécessaire concentration sur Lent séisme, après que Publie.net ait confirmé vouloir l’éditer.

Revenons à juillet 2020, donc. Cette folie de toujours croire que je peux faire dix trucs à la fois. Me fixer des échéances, planifier, me comporter avec moi-même comme une sorte de contremaître brutal... En arriver à me rendre compte que j’étais au bord du craquage, du trop, au bord de brûler dehors comme on dit.

Mars 2021 ? Grosse fatigue, et pourtant le désir d’écrire pousse son museau, la nappe souterraine qui n’a jamais arrêté de sinuer dans les cavités internes, une idée, un décor, écrire ceci, faire tel personnage comme cela, ajouter telle anecdote, une note par-ci, trouver un procédé pour articuler le monde social autour et dans l’intimité des personnages, une question par là, est-ce que je vais y arriver, est-ce que je vais m’y mettre, comment je vais m’y prendre cette fois ? Retournerai-je aux ateliers, aux vidéos de François ? Quel sera le matériau de construction, les briques, le ciment, les parpaings... Coulerai-je des dalles ? Faut-il écrire le journal du texte à écrire avant le texte lui-même ? Quel chemin d’approche pour ce qui se nomme cette fois-ci projet, qui m’inquiète justement par son caractère possiblement programmatique, là où les autres se sont écrits « en tas » (je crois bien que l'expression me vient de JD, du groupe des ateliers du Tiers Livre), dans une liberté de ce qui vient – constituant une énorme (mais non insurmontable) difficulté au moment de structurer l’ensemble comme une narration continue, lisible par autrui ?

Cette histoire de journal d’écriture, c’est aussi la question de l’adresse. Est-ce que j’écris mon journal pour moi-même, pour déplier les sinuosités réflexives et en savoir un peu plus à propos de ce que je pense qu’il faudrait faire ? Dans ce cas, j’y parlerai du texte à venir avec des détails sur l’histoire, le contexte, des précisions à propos des personnages, ce sera en quelque sorte un pré-texte. Un prétexte à l’écriture, et un avant-texte destiné à accoucher l’après-texte…

Est-ce que j’ai envie d’adresser ce texte ? C’est-à-dire : est-ce que j’ai envie que d’autres puissent lire la somme progressivement constituée par ces notes ? Est-ce que j’ai envie d’écrire ce carnet de telle façon qu’il soit compréhensible à d’autres et donne envie, peut-être, de lire le texte dont il accompagne la production (le lire dans un espace-temps qui n’a pour l’instant aucune espèce de possibilité concrète vu que le texte, et son pré-texte, ne sont même pas écrits) ?

C’est drôle, il me fallait l’écrire pour répondre. C’est non. Je n’ai pas envie de dévoiler le dessous de ce qui se trame dans l’écriture à venir. J’ai besoin de le garder jalousement. C’est un peu drôle de dire ça ici, dans un journal d’écriture sis sur un blog destiné à être lu. Il y aura donc un autre journal. Un carnet de l’écriture en cours, une parole de soi à soi sur le processus en train de se faire.

[ Relisant ces lignes le jour suivant, je repense  - tellement évident que je ne l'avais pas vu - à Walter Benjamin, dans Sens unique : "Parle si tu veux de ce qui est terminé, mais au cours du travail n'en lis aucun passage à autrui. Toute satisfaction que tu te donnes ainsi ralentit ton rythme. En suivant ce régime le désir sans cesse croissant de communiquer  finira par devenir un mobile pour achever l’œuvre." Et, plus loin : "Ne laisse passer aucune pensée incognito, et tiens ton carnet de notes avec autant de rigueur que les autorités tiennent le registre des étrangers." Je m'étais promis il y a peu, d'écouter ses conseils. Promesse réitérée. ]

Rien n’empêche d’écrire le carnet de notes comme un texte adressé et de le partager un jour, plus tard, ou jamais. Cela revient à se demander si l'adresse, même potentielle, à des pairs, des ami.e.s, des auteur.e.s supposé.e.s comprendre ce qui est en jeu, n'est pas aussi le moteur du carnet ? Peut-être, peut-être pas. On verra. 

En attendant, le journal du texte à venir se dessine comme porte d’entrée pour lutter contre  l'abattement et utiliser la procrastination pour laisser trace du chemin (j’allais dire optimiser… non mais oh, la contremaître intérieure, on se calme !) laisser le chemin ouvert jusqu'à la prochaine fois, laisser le chantier ouvert et ouverte la pensée sur le livre à venir. Peut-être une manière de conjuguer la dimension du projet avec la nécessité de laisser venir ce qui vient pour échapper au risque du programme de travail qui stérilise l’écriture ? 

[Écrivant ceci, je me demande si la fonction de ce semainier sur le blog n'est pas de produire un cadre pour mon travail d'écriture, un cadre qui deviendrait alors plus réel, impliquerait un engagement plus intense parce qu'énoncé devant d'autres ?]

Il reste la frustration ; les bouquins à lire pour SOIR TEXTE qui s’empilent alors qu’arrive le changement d’heure - date supposée être la FIN du cycle SOIR TEXTE jusqu’au prochain changement d’heure à l'automne ; les poèmes qui restent dans la tête et ne veulent pas venir sur le papier, ou alors la main trop fatiguée pour les y conduire ; les blogs pas lus, les commentaires pas posés, les vidéos pas vues, les messages pas envoyés aux copain.e.s, etc... 

Il reste les mailings à faire pour les livres qui vont sortir, les libraires à contacter pour leur proposer d’en prendre en dépôt, les posts sur les réseaux sociaux, les démarches pour vendre, partager ces livres, une fois qu’ils existent…

Il reste aussi à faire que les publications sur le web restent sincères en temps de parution / promotion des livres. La question de ce qu’on fabrique sur les réseaux sociaux – pour qui, pourquoi, comment on parle ? La lutte (perdue d’avance ?) qu’il faut mener pour que l’algorithme nous laisse une chance de se dire des choses authentiques. Qu'est-ce qu'on dit sur Facebook ou Twitter qui ne soit transformé par la machine ? Comment distinguer les registres de nos prises de parole ici ou là ? Quelle fonction pour les blogs alors, si ce n'est d'être déjà un peu abrités des décisions algorithmiques ? ... Ça, faudrait creuser, j’y reviendrai.


mardi 16 mars 2021

Semainier #10 Deux ans après, ce qui a changé ou pas


A nouveau, journal.

Plus d’un an sans écriture sur le blog. Presque deux ans d’interruption du journal. C’est beaucoup.

Le temps a filé mais personne ne sait vraiment où.

14 mars, j’écris : "conjonction de trois choses ou menus événements : lecture de la lettre « Rien que du bruit » de Philippe Castelneau qui évoque son journal d’écriture / ne plus écrire parce que je suis accaparée par les travaux qui ont trait à la publication concomitante de mes deux premiers livres (un roman chez Publie.net et un ensemble de textes de poésie en prose chez Gros Textes) – comme pour les jumeaux on ne saura jamais quel est véritablement le premier, alors même qu’ils sont très différents / parution d'un article « méthodo » de François Bon sur Patreon."

Et voilà que je recommence à croire en la possibilité d’un journal d’écriture. J’ai tellement à dire à propos de ce qui arrive en ce moment, et à la fois tellement peu de temps pour le dire, et même pour le penser…

Je suis irrégulière. Je fais un métier instable. J’ai un volume de boulot irrégulier. Je dois être au fond, un peu instable, et je ne rêve que de routines. J’installe des routines strictes, par moments, qui ne durent jamais. On dirait que j’ai besoin de l’instabilité autant que de la routine. J’aimerais que la vie soit un long fleuve très calme, qui s’écoule sans à-coups.

Et pourtant, je construis sans arrêt des barrages.

En ce moment, je finis de relire la première épreuve de Lent séisme, mon roman à paraître chez Publie.net. Le roman est fini d’écrire (écrit ?) depuis un certain temps, mais le travail de finalisation dépasse de loin, en durée, tout ce que j’aurais pu imaginer avant d’y travailler. C’est un travail d’endurance, qui consiste à se replonger dans un texte qui est déjà devenu ancien. De cela Guillaume Vissac parle très précisément ici, dans le Carnet de Bord de la maison d'édition. Parfois, j’en ai marre, de ce retour à l'ancien. Une partie de moi ne veut pas relire, par crainte de détester le texte. Alors je relis Lent séisme à l’envers, depuis la fin en direction du début, pour traquer les coquilles et vérifier la mise en page sans me laisser assaillir par des questions sur la narration.

J’ai un autre roman, qui est bien avancé. Parfois, je pense qu’il est fini. Terminé. Mais plus je laisse du temps s’écouler entre le moment, passé, de son écriture et ma position qui s’éloigne dans le présent, plus je lis d’autres romans dont le projet me semble s’approcher de celui que je portais initialement, pour mon roman – autrement dit, du roman dont je rêve – plus je me dis qu’il n’est pas fini, qu’il est trop imparfait, qui lui manque vraiment trop de choses pour que je le laisse partir comme ça. Et à l’idée de ce qu’il faudrait faire pour qu'il s'approche un peu plus de ce dont je rêve, j’ai de nouveau cette sensation de vertige depuis le sol, de pied-du-mur dont j’ai déjà parlé ici* et là**. Le vertige depuis le sol, j’ai appris à le surmonter avec Lent séisme, c’est-à-dire à dépasser la crainte de ne jamais y arriver pour parvenir à me mettre au boulot, pied-à-pied avec le mur, et finir par le franchir. Mais là, il se passe autre chose. Je désire écrire du neuf. J’ai une grande hâte intérieure d’écrire un autre roman dont le flux s’avance dans ma tête. Ses eaux, fraîches, neuves, revigorantes, sont en train de s’accumuler derrière le barrage constitué par la finalisation puis le travail autour de la diffusion des deux livres à paraître et la réflexion sur le deuxième roman, achevé ou pas.


Me voilà en train de taper une recherche sur le web avec les mots clés "lâcher d’eau barrage", histoire de voir concrètement comment ça peut se passer… Hum. Ça fait un peu peur. Lorsque l’eau accumulée en amont du barrage est lâchée d’un coup, elle forme un énorme panache blanc. Cette image n’a rien à voir avec la sorte de lent labeur que représente l’écriture d’un roman. Pas même avec le début. Sauf à l’imaginer comme un jaillissement, une débauche d’énergie finalement assez inutile. Un gâchis. Voire un ravage. 

Bon. Tout bien considéré, peut-être que le retour au journal qui a lieu ici et maintenant correspond à une petite percée dans le barrage, une perforation de taille modeste dans ce qui retient l’écriture, pour éviter que la pression ne soit trop importante au moment du lâcher d’eau. 

Pour éviter le ravage de la poussée trop forte.

Alors il va falloir en percer des trous, un peu partout dans le barrage. 

 

***

 

PS : Compte tenu du caractère répétitif et involontaire des métaphores conjuguant l'eau et le dénivelé dans ce journal, j'ai jugé utile de glisser ci-dessous les citations de mes anciens billets de blog

 * 26 avril 2019 - "Mais devenir auteure, autrice, supporter ce pesant bagage, la grosse valise pleine de mes empêchements. Une image pour dire ? Prenez une chute d'eau. Regardez ce qui se passe en bas, là où l'eau choit en masse puissante. Vous voyez cette espèce de tourbillon vertical très dangereux dont vous croyez sans cesse sortir mais non, vous replongez tout au fond ? Et bien c'est à cet endroit précis que je me trouve. A chaque fois que je me crois sortie des doutes et questionnements qui m'entravent, qui m'empêchent de dire "oui oui, c'est moi, j'écris, oui, je cherche, un peu..." et "oui oui, je vais y consacrer plus de temps, aller au bout d'un texte, l'envoyer à un éditeur, essayer de faire quelque chose avec ça.... et bien là, même là maintenant au moment d'écrire cela, je suis emportée vers le fond, le courant plus fort que toutes mes espérances, la masse d'eau qui dit "quoi !? mais quelle prétention, quel orgueil ! Non mais... pour qui elle se prend !!?? [...]"

** 12 mai 2019 - "Quand vient le moment d’attraper le texte dans son ensemble, de le secouer, d'en questionner l’agencement, ce qui vient avant ce qui vient après... Je me trouve au pied d’un haut mur avec un sentiment de noyade. Imaginez que vous êtes devant un grand mur lisse, voire un peu visqueux du fait de ce qui a pu pousser le long du mur, du fait de la présence continue de l’eau, et que vous êtes supposé.e grimper le long de ce mur. Il n’y a aucune prise, de là où vous êtes vous ne voyez aucune d’alternative..."