mardi 31 juillet 2018

Juste un journal du temps (1)

Les guêpes ne sont peut-être pas toutes mortes. L'air va brûler. Regarder 27, relire 26, avancer droit, slalomer entre les propositions, les réseaux sociaux, les idées qui naissent et se rendorment aussi vite. Lire (plutôt la nuit) dormir (plutôt le jour) écrire (plutôt tout le temps). Manquer le temps alors qu'il est là, devant toi. Se tapir. L'attendre au tournant.

vendredi 27 juillet 2018

Le temps a un goût de tragédie - version vidéo

Mon texte Le temps a un goût de tragédie que vous avez pu lire ici en février dernier, a désormais une version vidéo. C'est la première, elle doit énormément à la parfaite assistance technique de Jules Air.
Heureuse d'avoir osé profiter des vacances pour passer à l'acte.
Commentaires bienvenus.



Pensées flottantes sur le temps (chapitre 1)

En écho à la très belle aventure qui a lieu en ce moment sur Tiers Livre, l'atelier d'été, je viens d'exhumer mon carnet de voyage de Tanger en mars dernier. Ça fait des jours que j'y pense, à ce carnet non ouvert depuis le retour, avec le souvenir vague d'un ou deux textes qu'il faudrait reprendre ici. Ce matin à la plage j'ai écrit ma contribution à la proposition n°25, avec le sentiment d'être tombée à un endroit de vrai questionnement. Cet après-midi, j'ai ré-ouvert le carnet. Et ça résonne curieusement fort. Alors voici, pour le plaisir du chemin et dans le désordre : la proposition de François Bon, le texte de mars, le texte de ce matin. Tout cela entre aussi en résonance avec ce texte-ci, dont je viens de terminer une première version vidéo.



Samedi 24 mars 18 – fin de matinée

Ici Tanger, en terrasse de la librairie des Insolites, à lire de la poésie. Les balayeurs de la rue en pente, et de l’autre côté la mer qui se cache derrière un arbre. Ici je touche du doigt mon intériorité. Être ici dans cette étrangeté, et à la fois pas là du tout, ailleurs, au dedans de moi. C’est ça le mystère ? demande la voix intérieure. Peut-être… qui sait ? Le mystère c’est être là, ne rien savoir, à peine se demander. Regarder les chats, sentir le vent (froid) et interroger la magie, ce à quoi on accède dans un lieu étranger. De quoi sont faites nos pensées dans la solitude du lointain ? Là où il n’y a nul souvenir à soi, seulement ceux de milliers d’autres. Il y a comme un vide, à se balader dans ces souvenirs étrangers. Un espace vide dans lequel l’esprit se vide pour laisser place à autre chose. C’est une sorte de gouffre, un canyon, des gorges qui nous séparent du monde. De l’autre côté c’est très habité, bondé de monde, d’imaginaires qu’on ne saisit pas, de vies au sens desquelles on n’accède pas. Au bord de la falaise, on regarde de l’autre côté, on se retourne sur le côté connu puis on regarde le vide à nos pieds. Il aspire une partie du trop plein de l’esprit, laissant place à une rêverie inhabituelle, plus lente. Il n’y a pas de réseau. L’agitation a laissé place à un ressac souple et discret, qui roule entre ses longs doigts chaque grain de sable du monde intérieur. Les mains froides. Le sang s’est retiré dans le cœur, cerveau en survol, au dessus de l’abîme.
Tanger au bord de deux mondes. Le détroit de la pensée, ce que ça fait. D’ici on ne comprend pas mieux l’Espagne, l’Europe, pas mieux l’Afrique. On est juste un peu plus près de soi, un peu plus près du sablier intérieur. 



La proposition de François Bon





Ma contribution (à paraître sur Tiers Livre quand François sera de retour dans sa nouvelle vie)

Le temps a-t-il un goût de tragédie. De quelle substance est la mémoire des choses absentes. Qu’est-ce qu’on ne saisit pas dans le passage du temps et ses géographies. Est-on seul ou nombreux à trouver que le mystère s’épaissit avec les années. Les années épaisses forment-elles brouillard empêchant vision des géographies temporelles. Est-ce seulement insaisissable dès le début et pour toujours. Que se passe-t-il quand on se déplace et que le temps passe sur ce mouvement. Est-ce qu’on garde un morceau intérieur de là où on est allé comme dans ces histoires où à la fin il reste quelque chose de tangible d’un monde pourtant enfui à jamais enfoui à jamais. Est-ce que quelqu’un peut dire ce que c’est d’avoir été là et de ne plus y être. Est-ce que quelqu’un sait remplir ce vide toujours déjà plein d’autre chose. D’un endroit à l’autre sommes-nous les mêmes ou bien autres. Comment le déplacement dans l’espace s’impose-t-il à nous par quelle abstraction stratégique ou brutale comment y survivre. Pourquoi le passé est passé comme un mur. Pourquoi les regrets remplissent-ils les nuits de trop. Où vivent les marqueurs du temps dans le monde s’il existe ou en dedans de soi. Quelle est la matière du présent instable inflammable. Comment échapper à la tristesse comment être. Faut-il seulement accepter la tuerie trouble du temps. Pourquoi ne pas revenir en arrière pourquoi c’est si douloureux. Respirer l’abstraction du temps à grandes bouffées est-ce la réponse. Écrire la carte de nos géographies temporelles est-ce que ça sauve et quid de la carte et du territoire alors. Qui dresse et frise la fresque de nos chronologies spatiales. Puissent-elles être autre chose que nostalgie juste incompréhension et l’envie de savoir c’est grave. Est-ce qu’il y a une ellipse quelque part entre Tanger New-York et Copenhague. Bermudes. Est-ce qu’écrire fait sentir mieux éprouver mieux toucher mieux la substance du présent et celle du passé fugace. Est-ce qu’on pourra sortir un jour de l’abstraction par le langage et l’appui du réel. Comment s’ouvre la brèche comment. Comment elle sévit intérieurement pour chacun pour chacune. Qu’est-ce qu’on partage de ça qu’est-ce qu’on peut en dire qui soit intelligible à l’autre que faire d’autre que produire parole singulière ancrée parole singulière encrée dans la matière du souvenir pour essayer d’éclairer le mystère épais comme soupe de pois soupe à l’encre de sèche à l’ancre sèche – en cale sèche. Est-ce que le passé existe vraiment est-ce qu’écrire c’est autre chose que tenter de répondre à la question est-ce que la mer y peut quelque chose. Est-ce que vivre avec le temps qui passe ce serait comme faire la planche se laisser porter par la vague et le sel sans rien savoir accepter les nappes d’eau chaude et plus froide aimer le sable et pour sa tendresse et pour son craquant rêche sous les dents.






mardi 10 juillet 2018

L'épine

Parce que c’était la première fois qu’on allait au devant de la ville sans les adultes, on était quatre, on avait quinze ans, pris le train ou peut-être l’un plus âgé venait d’avoir le permis, alors on avait pris la route dans la vallée verte, du bourg à la ville, les trente kilomètres à peu près, et puis la promenade en ville, voilà. Une terrasse de café, celle juste à droite de l’église, vous savez, aujourd’hui le café porte le nom d’un saurien, mais à l’époque, c’était un nom chic, un nom qui connotait chic, mais on n’avait pas encore décodé ce sens caché, on le saurait bientôt, comme on saurait que ces cocktails composés d’un alcool fort au parfum de noix de coco et de jus d’ananas, c’était cher, tellement cher qu’on n’aurait pas à nous tous les moyens de payer une fois le serveur ayant apporté les verres et nous les ayant bus. L’instant de la découverte de la note, le pauvre petit papier légèrement froissé qui grimace, les sourires incrédules des trois amis, le faire semblant de ne pas comprendre ou de garder la face ou les deux ensemble tiens, faire comme si on savait alors que c’est si étonnant, la gêne et le cœur qui bat, l’incompréhension, c’est une erreur non, non non, c’est bien ça, tu crois, le ventre un peu noué – encore enfants faisant bêtises – être renvoyé à cela, l’enfance toute petite et toute méconnaissance du monde, l’inattendu qui se refuse à l’intelligible, ce moment de la perte de soi et du monde autour, presque comme quand on rêve que le pied perd appui et que sursaute le corps entier… Là, la ville nous avait farcé, échappé, pas méchantement mais quand même, il avait fallu aller au distributeur, la somme était invraisemblable et le demeure dans un coin des souvenirs – jamais on ne boit de cocktail dans les bars jamais, et puis d’abord c’est mauvais. Pourquoi buvait-on des Malibus-Ananas à quinze ans dans l’après-midi de la ville, ça, c’est une autre histoire qui tourne un peu la tête, à droite, à gauche. 

Une autre fois on s’est trompé sur le réel. On courait, dix-neuf ou vingt heures, sur le quai pavé, le printemps, faire attention aux chevilles. La meute des chiens aboyait les canards sur la rivière, les canards s’effrayaient, ou pas, ça plus personne ne le sait. Et quand les chiens ont couru derrière et sont arrivés là, tous aboyant toujours, comme si l’on était un canard impavide, ce n’était pas prévu de sentir la dent dans l’arrière du mollet, en haut. Pas du tout prévu, et surprenant en plus d’être douloureux. Il y a avait là une traîtrise indicible, une arnaque, toute la supercherie du monde dans ce trou laissé par une dent pointue, on n’avait pas peur l’instant d’avant la confiance était totale ; le chien petit et noir, sa dent, le maître qui disait de loin n’aie pas peur, pas méchant, faisaient à eux tous pencher le monde comme un grand plat vide et glissant d’où l’on tombe sans pouvoir se raccrocher à rien. Évidemment c’était au crépuscule. Entre chien et loup. 

Et puis un jour on a tourné en rond, non plus autour de la boucle de la rivière, mais en rond, comme faisant des ronds dans l’eau ou faisant du sur place dans cette ville trop connue, c’est ça l’épine coincée entre les orteils, attention, faire gaffe en marchant, la méfiance devenue, le chien, le trop connu, les gens toujours les mêmes, et sortir et croiser le même monde, et sentir qu’au lieu d’être aimable ce même monde sans le vouloir devenait hostile, il y a cette hostilité dans le trop proche, le trop familier devient menace. Alors il avait fallu faire le ménage, de l’appartement et partir avec un balai et une serpillière dans le coffre de la voiture. 

Un texte à lire avec les autres, sur Tiers Livre, la folle aventure de l'atelier d'été de François Bon : des propositions qui s'enchaînent tout l'été, 140 contributeurs à demi égarés dans la langue et dans la ville !

dimanche 1 juillet 2018

Il fait frais

Il fait frais. Marcher rapidement de la place Pasteur à la place Saint-Pierre, travelling haché par les pas. Les silhouettes qu’on croise, quand on marche vite, sont des ombres qui passent, juste le temps de se faire une idée brève, une idée de soi jugeant l’autre avec célérité, dans cette première appréhension sensible dont on sait d’expérience qu’elle ne durerait pas, si l’on se rencontrait vraiment. Cette femme – cinquante-cinq ans ? – bien droite immobile le regard baissé vers la vitrine d’une boutique de chaussures chères et bleu-marine comme les branches de ses lunettes. De dos, l’homme en costume grisonnant qui déambule en déséquilibre, titubant sous une défaillance neurologique. Le trentenaire chauve et barbu, son garçonnet en trottinette, glissent aussi vite en sens inverse, les croiser ça fait courant d’air. L’odeur des burgers échappée du fast-food à l’angle de la rue d’Anvers, avec l’ombre amicale du patron qui cuit des steaks dans l’avancée vitrée de son échoppe, son ventre avançant lui aussi, redondance de la véranda, redoublement de ce qui déborde, sur la rue ou par dessus le pantalon. La petite vendeuse qui sort en courant de la boutique Etam, robette noir et sac en bandoulière sur l’épaule, cuir retourné couleur de jeune chevreuil, la lanière tressée qui traverse le temps. Et tous ceux et celles qu’on s’attend à croiser et qui ne sont plus là, avec leurs mines tristes, leurs barbes de trois jours, des aigreurs dans le regard, des éclats de rire, des cheveux rasés et des boucles d’oreilles en toc, des rides nouvelles et des souvenirs différents des nôtres – vieux puzzle des adolescences éparpillées dans l’âge adulte.


Un texte à lire avec les autres, sur Tiers Livre, l'atelier d'été de François Bon : des propositions qui s'enchaînent tout l'été, 130 contributeurs, une folle aventure dans la langue et dans la ville !