vendredi 27 juillet 2018

Pensées flottantes sur le temps (chapitre 1)

En écho à la très belle aventure qui a lieu en ce moment sur Tiers Livre, l'atelier d'été, je viens d'exhumer mon carnet de voyage de Tanger en mars dernier. Ça fait des jours que j'y pense, à ce carnet non ouvert depuis le retour, avec le souvenir vague d'un ou deux textes qu'il faudrait reprendre ici. Ce matin à la plage j'ai écrit ma contribution à la proposition n°25, avec le sentiment d'être tombée à un endroit de vrai questionnement. Cet après-midi, j'ai ré-ouvert le carnet. Et ça résonne curieusement fort. Alors voici, pour le plaisir du chemin et dans le désordre : la proposition de François Bon, le texte de mars, le texte de ce matin. Tout cela entre aussi en résonance avec ce texte-ci, dont je viens de terminer une première version vidéo.



Samedi 24 mars 18 – fin de matinée

Ici Tanger, en terrasse de la librairie des Insolites, à lire de la poésie. Les balayeurs de la rue en pente, et de l’autre côté la mer qui se cache derrière un arbre. Ici je touche du doigt mon intériorité. Être ici dans cette étrangeté, et à la fois pas là du tout, ailleurs, au dedans de moi. C’est ça le mystère ? demande la voix intérieure. Peut-être… qui sait ? Le mystère c’est être là, ne rien savoir, à peine se demander. Regarder les chats, sentir le vent (froid) et interroger la magie, ce à quoi on accède dans un lieu étranger. De quoi sont faites nos pensées dans la solitude du lointain ? Là où il n’y a nul souvenir à soi, seulement ceux de milliers d’autres. Il y a comme un vide, à se balader dans ces souvenirs étrangers. Un espace vide dans lequel l’esprit se vide pour laisser place à autre chose. C’est une sorte de gouffre, un canyon, des gorges qui nous séparent du monde. De l’autre côté c’est très habité, bondé de monde, d’imaginaires qu’on ne saisit pas, de vies au sens desquelles on n’accède pas. Au bord de la falaise, on regarde de l’autre côté, on se retourne sur le côté connu puis on regarde le vide à nos pieds. Il aspire une partie du trop plein de l’esprit, laissant place à une rêverie inhabituelle, plus lente. Il n’y a pas de réseau. L’agitation a laissé place à un ressac souple et discret, qui roule entre ses longs doigts chaque grain de sable du monde intérieur. Les mains froides. Le sang s’est retiré dans le cœur, cerveau en survol, au dessus de l’abîme.
Tanger au bord de deux mondes. Le détroit de la pensée, ce que ça fait. D’ici on ne comprend pas mieux l’Espagne, l’Europe, pas mieux l’Afrique. On est juste un peu plus près de soi, un peu plus près du sablier intérieur. 



La proposition de François Bon





Ma contribution (à paraître sur Tiers Livre quand François sera de retour dans sa nouvelle vie)

Le temps a-t-il un goût de tragédie. De quelle substance est la mémoire des choses absentes. Qu’est-ce qu’on ne saisit pas dans le passage du temps et ses géographies. Est-on seul ou nombreux à trouver que le mystère s’épaissit avec les années. Les années épaisses forment-elles brouillard empêchant vision des géographies temporelles. Est-ce seulement insaisissable dès le début et pour toujours. Que se passe-t-il quand on se déplace et que le temps passe sur ce mouvement. Est-ce qu’on garde un morceau intérieur de là où on est allé comme dans ces histoires où à la fin il reste quelque chose de tangible d’un monde pourtant enfui à jamais enfoui à jamais. Est-ce que quelqu’un peut dire ce que c’est d’avoir été là et de ne plus y être. Est-ce que quelqu’un sait remplir ce vide toujours déjà plein d’autre chose. D’un endroit à l’autre sommes-nous les mêmes ou bien autres. Comment le déplacement dans l’espace s’impose-t-il à nous par quelle abstraction stratégique ou brutale comment y survivre. Pourquoi le passé est passé comme un mur. Pourquoi les regrets remplissent-ils les nuits de trop. Où vivent les marqueurs du temps dans le monde s’il existe ou en dedans de soi. Quelle est la matière du présent instable inflammable. Comment échapper à la tristesse comment être. Faut-il seulement accepter la tuerie trouble du temps. Pourquoi ne pas revenir en arrière pourquoi c’est si douloureux. Respirer l’abstraction du temps à grandes bouffées est-ce la réponse. Écrire la carte de nos géographies temporelles est-ce que ça sauve et quid de la carte et du territoire alors. Qui dresse et frise la fresque de nos chronologies spatiales. Puissent-elles être autre chose que nostalgie juste incompréhension et l’envie de savoir c’est grave. Est-ce qu’il y a une ellipse quelque part entre Tanger New-York et Copenhague. Bermudes. Est-ce qu’écrire fait sentir mieux éprouver mieux toucher mieux la substance du présent et celle du passé fugace. Est-ce qu’on pourra sortir un jour de l’abstraction par le langage et l’appui du réel. Comment s’ouvre la brèche comment. Comment elle sévit intérieurement pour chacun pour chacune. Qu’est-ce qu’on partage de ça qu’est-ce qu’on peut en dire qui soit intelligible à l’autre que faire d’autre que produire parole singulière ancrée parole singulière encrée dans la matière du souvenir pour essayer d’éclairer le mystère épais comme soupe de pois soupe à l’encre de sèche à l’ancre sèche – en cale sèche. Est-ce que le passé existe vraiment est-ce qu’écrire c’est autre chose que tenter de répondre à la question est-ce que la mer y peut quelque chose. Est-ce que vivre avec le temps qui passe ce serait comme faire la planche se laisser porter par la vague et le sel sans rien savoir accepter les nappes d’eau chaude et plus froide aimer le sable et pour sa tendresse et pour son craquant rêche sous les dents.






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