mardi 11 juin 2019

Semainier #9 où il est question de magie

11 juin, retour de week-end.
 
Tout a commencé par une brève  et première rencontre avec Françoise Durif à Lyon, où j’étais de passage, et où nous avons commenté nos satisfactions respectives de voir redémarrer bientôt l’atelier d’été. 
 
Nouveau : une photo de l'auteur cachée dans un atelier d'écriture ! 😄
Tout a continué avec un atelier d’écriture avec les écrivains turbulents, dont il faut aller lire les merveilleux textes ici. Épaississement de la magie au cours des trois heures animées par Joël Kerouanton autour du livre de Thomas Vinau « Des étoiles et des chiens, 76 inconsolés », et de figures ou artistes écorchés, décalés, rebelles, nous ayant marqué, nourri ou consolés. Très beau mélange des gens où ceux à qui il manque quelque chose ne sont pas ceux qu’on croit, où ce qui se nomme lacune apparaît pleine prise dans la poésie. Après la performance collective où nous lisons chacun nos textes sur la scène, il m’est difficile de franchir le ravin qui me sépare de la table ronde « poème, image, son » où le propos, quoique fort pertinent et ciselé, me paraît soudain tellement ordinaire, inaudible et rasant après ce que je viens d’entendre, que j’ai l’impression qu’il flotte dans l’air une odeur de renfermé. 
 
Me voilà donc à faire un tour, jusqu’à trouver les éditions publie.net qui représentent toujours un centre de gravité rassurant dans ce genre d’immensité livresque qu’est le Marché de la Poésie. Le temps de saluer Guillaume Vissac dont je tente d’imaginer ce qu’il va raconter dans le carnet de bord de publie.net (il me faudra attendre ce matin pour accéder à l’envers sur décor) et de croiser Nathanaëlle Quoirez trottinant avec ses béquilles, je retrouve Céline De-Saër rencontrée un peu plus tôt par le plus grand des hasards (ou pas) à l’atelier d’écriture des écrivains turbulents. S’ensuit une sorte de maëlstrom sympathique (est-ce qu’un maëlstrom peut être sympathique ? c’est en tout cas le mot qui vient, parce qu’il y a là quelque chose d’irrésistible) de rencontres croisées qui m’amènent à revoir Anne Savelli et Virginie Gautier, à découvrir l’apparence corporelle de Claire Lecoeur qui m’accompagne depuis plus d’un an, par téléphone, sur les ateliers d’écriture / analyses des pratiques professionnelles, celle d’Antonin Crenn dont j’offre le soir-même le beau roman L’épaisseur du trait à ma très chère A., celle d’Hédi Cherchour dont j’offre le surlendemain les Nouvelles de la ferraille et du vent à ma très chère D. qui m’héberge dans son grand appartement. Après ces moments singuliers où l’apparence visible vient percuter l’image interne constituée à partir des bribes de ce que nous savons des uns et des autres, nous filons à la lecture prévue au Jardin du Luxemboug ; le trajet retour donnera lieu à une nouvelle crise d'Artalburite, je pense que le maladie est en passe de se chroniciser. 

J’hésite toujours longuement avant de publier ces textes qui jouent avec l’absurde et l’autofiction, mais surtout font intervenir d’autres personnages que moi, souvent mes Grands Autres, intrigants, impressionnants ou rassurants et consolateurs. Il y a dans cette histoire d’Artalburite trois mouvements plus ou moins conscients : jouer avec l’écriture d’un autre ; autofictionner ; fictionner les autres.
Jouer à imiter l’écriture de ceux je lis, c’est un penchant constant dans ma pratique ; j’essaie juste de m’en rendre compte, d’en avoir un peu la maîtrise, de passer par là pour enrichir ma propre écriture. Bon, avec le texte de Pierre Barrault, il y avait une attraction irrésistible, liée à ce que son texte autorise. Et comme l’auteur lui même autorise ce jeu, je me suis vite débarrassée des entraves de la culpabilité.
Autofictionner, c’est certes très égocentré, mais c’est un point de départ comme un autre, et bien pratique, en plus. Je me demande parfois si c’est impudique, et puis j’en arrive à la conclusion qu’écrire, en tant que donner forme partageable à quelque chose qui chemine depuis l’inconscient, c’est toujours impudique. Alors bon.
Fictionner les autres pose d’autres questions : jouer avec l’Autre en tant que figure de sa propre rêverie implique de le faire sien... A priori, c’est très impoli de s’approprier comme ça les gens sans leur demander leur avis. Alors qu’est-ce qui fait que je m’y autorise ?
Se situer au carrefour d’entre-deux (il faudrait mettre entre-deux au pluriel) entre le texte d’un autre et le sien, entre le soi et le personnage, entre la réalité de l’autre et sa recomposition fantasmatique.
Et l’idée d’un hommage. Il m’arrive d’être poussée à écrire par des textes qui me marquent, qui me travaillent et me mettent au travail. Ça a été le cas à plusieurs reprises avec Daniel Bourrion. C'est souvent le cas avec Charles Pennequin, Nat Yot, et d'autres... Ça a été le cas ce samedi avec le texte d’Hédi Cherchour, que j’avais lu mais dont la lecture à voix haute augmente l’intensité. C’est aussi cela que j’avais envie de rendre, et il m’a semblé plus juste de le faire dans une représentation imagée et fantasmatique de ce que peut être l’expérience intime du contact avec le texte lu, plutôt que dans une recension de lecture ordinaire. Pour dire comment les textes des autres viennent nourrir mon intériorité. 
Serge Doubrovsky dit à propos de l'autofiction : « confier le langage d’une aventure à l’aventure d’un langage en liberté » ... Si vous en êtes d’accord, je vais laisser cuire et ne me poserai pas davantage de questions aujourd’hui.