mercredi 17 juillet 2013

Les lisières, Olivier Adam

Parfois tu as un coup de foudre amoureux, le plus souvent illusoire. Parfois un livre te parle, à toi seul, en direct. S'engage alors une conversation intérieure et silencieuse qui te propulse dans une relation intime avec l'auteur. C'est un coup de foudre littéraire, tellement rare et précieux. Le livre que je viens de dévorer en quelques jours, comme par hasard au moment de quitter Paris pour aller vivre bien plus loin, au bord de la France, le livre que je viens de refermer est de ceux qui me font un effet bœuf. Oui, c'est une expression étrange pour un livre. Elle conviendrait mieux pour un homme. Mais ce qu'il suscite en moi n'a rien de délicat ou de tendre. Et sangloter discrètement dans un TGV estival et morne n'était que la manifestation visible d'une secousse plus profonde. Comme si c'était le livre qui me manquait pour recommencer à écrire, le livre qui fait le pont entre des éléments épars, des morceaux de moi toujours à ramasser, rassembler, recoller, indéfinim
ent. Parce qu'il jette une passerelle de toute justesse entre le social et le psychisme, les déterminismes et le libre-arbitre, la politique et la littérature ; sorte de pont de singe bringuebalant, lumineux et vertigineux à la fois, qui m'est indispensable pour traverser la vie, et surtout pour retrouver le sens de mon travail d'écriture. La voix qui porte ce roman, une mélancolie presque candide et ce niveau d'angoisse feutrée que je partage tellement ces derniers temps, fait que j'entretiens une relation d'abord charnelle avec ce livre, parce qu'il prend aux tripes et ressuscite une passion enfouie, un émoi oublié, des raisons profondes d'écrire, sous la forme de sensations plus que de pensées. Une attirance électrique pour cette écriture fluide, ce rythme si parfait qu'il semble facile, quand justement son évidence est à la mesure du travail qu'il nécessite. Une envie terrible de faire pareil, et sans doute pas mal de jalousie. Une espèce de répulsion aussi, devant ce que provoque la littérature, dans les âmes et dans la vie, ce fossé qui se creuse entre l'écrivain et sa vie, dit sans tendresse, dans toute sa brutalité crue. Quelque chose qui m'apparaît souvent comme autant d'obstacles à mon propre travail. Une ambivalence complète, entre rejet et empathie pour ces personnages, rêvés ou bien réels, d'écrivains torturés, nécessairement hors du monde, que dans la vie je méprise autant que je les comprends. Que je fuis autant que je crains d'en être. Olivier Adam fait remonter l'angoisse, celle qu'on enseveli sous des montagnes de projets, d'activités, d'amis, celle de l'enfant debout au bord de précipice, du vertige de ceux qui passent leur vie à tourner autour d'un gouffre intérieur et insondable.
Les lisières est un roman splendide et triste et douloureux, un roman haletant, tenu avec une endurance à la fois diabolique et merveilleuse. La littérature française d'aujourd'hui -et moi- avons bien besoin d'Olivier Adam, qui réalise une synthèse rêvée entre Djian, pour l'écriture, Banks, pour l'univers, et Carrère, pour le côté story teller talentueux. Ma génération avait besoin de son Annie Ernaux, version mâle, nostalgique. Et un peu punk. Sur les bords au moins. En lisière.

mercredi 10 juillet 2013

Les jours

[Jour1] 
Il est long le jour où je ne te touche plus de mes paupières sales. Le temps vicieux terni ton portrait suspendu au fond de ma mémoire comme une relique tendre une affiche cachée par d’autres arrachée découpée sur un mur épais. Une étrange poussière de temps tombe à l’arrière de mon cerveau, floutte ton image comme la neige tamise le bruit brutal de mon désir.
Les adieux nerveux reviennent par vague. Nez enfoui dans mes cheveux pour contourner mes larmes et surtout ne pas respirer le moindre sanglot des fois qu’il soit empli d’une peste amoureuse indécrottable mortelle et terriblement douloureuse. Tu avais raison les heures se sont enchaînées irrémédiables et tellement sûres qu’il y a eu un jour entier fondu écoulé comme sable en sablier c’est facile mais la nuit est passée par à coups mordante dure dure dure et violente avec ça. L’ouverture béante du manque au creux du ventre je n’ai pas lutté pas mordu la poussière suis restée là éperdue les yeux ouverts cherchant à quoi à quoi m'accrocher dans ces sables infâmes et mouvants. C’était trop d’absence pourquoi tout ce vide alors qu’il n’y avait presque rien ?

[Jour 2]
Il est long le jour où tu disparais de ma pensée. Sauve-toi petite il ne faut pas rester là, tu sais c’est dangereux tu deviendrais polichinelle, celle avec laquelle je joue en pensée comme enfant la peluche passée par dessus bord. Je n’oublie pas je cache. Mon désir indiscernable et le trop plein des nuits qui viennent se coucher à ta place, l’épaisseur de l’air pèse sur mon ventre parce que ce n’est pas toi. Mourrons mourrons loin de l’autre ! C’est plus simple que s’emballer dans un papier cadeau affadi par les années. Non, tu ne sauras rien de mon amour aux oubliettes, je le garde. Juste une petite gouttière, joli plic-ploc qui rappelle ton absence avec un froissement de cœur à chaque seconde. Il suffit de ne pas y penser. A quoi bon commencer quand il n’y a presque rien ? 

Vous aimez ? 
Lisez Les Minutes et Les Heures

dimanche 31 mars 2013

Juste pour le plaisir...


Il est des moments où... il faut laisser la place aux grands.
J.


Tête de faune

Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée, incertaine et fleurie, 
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l’exquise broderie,

Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches
Brunies et sanglantes ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.


Arthur Rimbaud.




mercredi 6 février 2013

Le tunnel

Cinq longs mois de silence ici. 

Cinq mois qui m'ont conduite de la fin de l'été au creux de l'hiver, de la rentrée scolaire au cœur de cette année pas comme les autres. 

Septembre a été riche, heureux, productif : du soleil, des dizaines de kilomètres en courant, des dizaines de pages de roman, le bonheur du temps libre consacré à soi-même.

Octobre, excitant, démarrage d'une nouvelle aventure appelée master, chouette, les semaines défilent dans l'allegresse !

Novembre, anxieux, en un instant. Le master m'aspire. A peine le temps de réaliser que je n'ai plus le temps d'écrire, ni même l'énergie d'exister sur Twitter, que déjà on descend sur la pente glissante de l'hiver.

Décembre, sombre et froid, manque de lumière. Toujours beaucoup de belles découvertes à la fac et les fêtes, qui, d'année en année, me sont chaque fois un peu plus pénibles.

Janvier, chargé : nouvelle expérience professionnelle, cumulée avec les cours, le boulot universitaire toujours, et le reste de la vie. Dont un déménagement à prévoir, dans 6 mois : 800 kilomètres plus au sud, tout de même.

Février est oppressé. L'exaltation de l'automne a fait place à la réalité. Sentiment d'être dans un tunnel, dont je ne vois la petite extrémité lumineuse qu'en septembre prochain. C'est loin...

D'ici là, point de salut pour Juliette, peu de place pour l'écriture, si ce n'est ce qui s'écrit dans ma tête, à des moments improbables. Heureusement qu'il reste cet espace de liberté dans l'esprit. Sinon, j'aurais le sentiment d'étouffer.

Conclusion : même si j'en ai parfois l'illusion, je ne peux pas courir plusieurs lièvres à la fois. Cette incapacité de répartir mon énergie entre des projets de nature différente mais qui demandent autant d'implication, je la ressens comme une limite humaine contre laquelle je n'aurai aucun intérêt à me battre.

Et puis, je suis là après tout ?

Patience et longueur de temps...