jeudi 21 mai 2015

Stefan Golam, né en mars 1940 au fin fond de la Finlande, de sexe masculin

Je suis un vieil homme plié par le froid et les grands sapins bleus.
Pour moi se battre c'est trop loin, c'est oublié, je ne veux plus.
Les tranchées c'est la terre grise de l'Europe dénudée, l'intimité du sol ouverte accueillant des enfants effrayés, transis et rouges.
Pour moi la guerre c'est le monde qui transpire et la Lune qui s'en fout.
J'ai besoin d'une femme qui m'aime à nouveau pour oublier le grincement de mes os qui hurlent chaque matin, assourdissant mon réveil.
Faire la guerre c'est déjà creuser sa tombe et écrire dessus quelque chose de tellement idiot que je ne l'imagine même pas.
Je suis celui qui délimite la terre de l'un et la terre de l'autre, celui qui dit la frontière et détermine l'étendue.
Je viens de la maison en ruine, là-haut, sur cette petite montagne grise à laquelle s'accrochent quelques nuages et le souvenir de ma mère.
Le patriotisme c'est la chair de mes parents, la peau de mes enfants et l'honneur de mon bouc !
Je suis avec ma cane neuve qui brille ; elle cogne parfois l'arrière-train d'une chèvre insolente.
Ne pas faire la guerre c'est sombrer dans une sieste longue, le repos d'un Ulysse retrouvant les siens, retrouvant sa place et la fleur rouge de Pénélope.
Pour moi la liberté c'est l'angoisse de l'étendue vide et sans limite, et mes mains qui tremblent devant le regard d'une femme.
J'aime le soleil froid qui caresse mon nez en rigolant.
Pour moi la défaite c'est renoncer à dire les contours du monde qu'on a voulu, c'est déplacer des larmes sur les joues des soldats.
La guerre idéale ce serait me battre une dernière fois dans ces draps secs avec celle qui est partie depuis longtemps sous la terre.
Je cherche le souvenir d'une constellation de grains bruns sur sa cuisse.
Pour moi être victorieux c'est se lever dans le petit matin sans pousser un grognement, et me dérouiller en silence.
Ma mémoire est une tombe indécise.




Ce texte est le fruit d'un atelier d'écriture animé par Emmanuelle Malhappe (merci à elle) en novembre 2014, et proposé par Ascaé (association de soutien, de conseil et d'accompagnement à l'écriture). Il a ensuite été lu lors d'une déambulation théâtrale au Chai du Terral à Saint Jean de Védas pour commémorer la première guerre mondiale.





Gaïa Mirador, née en juin 2008 à Mexico, de sexe féminin


Je suis une petite fille je suis un animal de la rue.
Se battre c'est tous les jours survivre et manger prendre aux autres pour vivre et souffrir moins.
Pour moi les tranchées c'est le trou qu'on creuse pour mettre les morts emmêlés dedans.
La guerre c'est creuser un grand trou et m'enfouir dedans dormir au plus profond du ventre du sol me cacher disparaître vomir la peur et souffrir moins.
J'ai besoin d'un abri pour échapper aux brûlures sur ma peau et au feu qui pique mes yeux.
Vendre plus que les autres et recevoir un sourire un regard brillant avec des dents blanches et un morceau de pain.
Dans mon pays je suis une au milieu des autres chats et chiens errants à la poursuite d'un peu de paix d'un répit qui ne vient pas d'une trêve qu'on attend toujours.
Je viens de manger un morceau de viande que personne animal ou humain n'avait repéré ça me chauffe et ça gargouille mon estomac comme le gros hélicoptère qui est passé l'autre jour.
J'ai froid et faim parce que l'humidité glace jusqu'à mes cheveux et qu'il n'y a personne contre qui dormir.
Je suis avec cette petite robe rouge que j'ai trouvé là-haut. Elle brillait d'un feu intense et puis maintenant voilà ! Mouillée mangée par la terre elle est moite et fade assombrie par les jours.
Ne pas faire la guerre c'est manger des glaces au bord de la mer et sentir le vent salé sous mes aisselles.
Pour moi la liberté c'est courir et crier tous ensemble.
J'aime rire quand il fait soleil.
Pour moi la défaite c'est quand je perds une chaussure et que mon orteil s'accroche à la pierre.
Une guerre idéale ce serait une journée où je trouve de la viande cuite et un vivant contre qui sommeiller.
Je cherche à remplir mon estomac et mon corps et la sombre tristesse le soir quand je m'endors et que tout me manque sans que je puisse même imaginer ce qui pourrait être doux et chaud et sucré.
Leur monter dessus leur casser les doigts et mordre la peau de leur dos avec mes dents dures.
Ma mémoire est un sac de terre lourde qui colle à mes pieds nus et ralentit ma fuite.

Ce texte est le fruit d'un atelier d'écriture animé par Emmanuelle Malhappe (merci à elle) en novembre 2014, et proposé par Ascaé (association de soutien, de conseil et d'accompagnement à l'écriture). Il a ensuite été lu lors d'une déambulation théâtrale au Chai du Terral à Saint Jean de Védas pour commémorer la première guerre mondiale.

Echauffements...

Bon, c'est pas tout ça, mais il va falloir se remonter les manches !

Octobre 2012. J'envoyais mon demi-roman à une bande de lecteurs amicaux et persévérants, avant de (re-)plonger dans les études universitaires. Et voilà que, presque trois ans plus tard, j'ai à peine ressorti la tête de l'eau ! De fil en aiguille, me voilà changée. Un peu. Beaucoup.

Le demi-roman est toujours là.

Je relis les commentaires des lecteurs amicaux et persévérants. Une fois. Deux fois.

Je ressens une impression étrange quand j'entends un écrivain parler de son travail à la radio.
Un peu comme une grosse envie de pleurer, en plus serein et en plus joyeux.
Juste une grosse envie d'écrire, peut-être ?

Sauf que trois ans, c'est pas rien. Et même si j'ai entretenu l'écriture professionnelle, ça n'a rien à voir. C'est un peu comme arrêter la course à pied et faire de la natation : on a toujours le souffle mais ce ne sont pas les mêmes muscles qui travaillent. Bref, avant de filer plus loin la métaphore - j'ai envie d’écrire "filer plus loin dans la métaphore", tant ça ressemble à une échappatoire pour éviter ce qui va suivre... Non c'est vrai, je pourrais continuer longtemps sur cette comparaison, qui me paraît potentiellement fort productive ! Avant de filer donc, et de trouver un autre prétexte pour ne pas m'y mettre, je crois qu'il faut que je crache le morceau, et que je me rende (les armes et tout) à l'évidence : ça va pas être facile.

Sauf que. Heureusement, il y a les échauffements. Alors au lieu de me remettre directement au travail pour faire du demi-roman un trois-quart-de-roman, je vais peut-être essayer de m'échauffer. Histoire d'éviter de me froisser un muscle.

Ahah !