Je
suis un vieil homme plié par le froid et les grands sapins
bleus.
Pour
moi se battre c'est trop loin, c'est oublié, je ne veux plus.
Les tranchées c'est la terre grise de l'Europe dénudée,
l'intimité du sol ouverte accueillant des enfants effrayés, transis
et rouges.
Pour
moi la guerre c'est le monde qui transpire et la Lune qui s'en
fout.
J'ai
besoin d'une femme qui m'aime à nouveau pour oublier le
grincement de mes os qui hurlent chaque matin, assourdissant mon
réveil.
Faire la guerre c'est déjà
creuser sa tombe et
écrire dessus quelque chose de tellement idiot que je ne l'imagine
même pas.
Je suis celui qui délimite la terre de l'un et la terre
de l'autre, celui qui dit la frontière et détermine l'étendue.
Je
viens de la maison en ruine, là-haut, sur cette petite montagne
grise à laquelle s'accrochent quelques nuages et le souvenir de ma
mère.
Le patriotisme c'est la chair de mes parents, la peau de mes
enfants et l'honneur de mon bouc !
Je
suis avec ma cane neuve qui brille ; elle cogne parfois
l'arrière-train d'une chèvre insolente.
Ne pas faire la guerre c'est sombrer dans une sieste longue,
le repos d'un Ulysse retrouvant les siens, retrouvant sa place et la
fleur rouge de Pénélope.
Pour
moi la liberté c'est l'angoisse de l'étendue vide et sans
limite, et mes mains qui tremblent devant le regard d'une femme.
J'aime
le soleil froid qui caresse mon nez en rigolant.
Pour
moi la défaite c'est renoncer à dire les contours du monde
qu'on a voulu, c'est déplacer des larmes sur les joues des soldats.
La guerre idéale ce serait me battre une dernière fois dans
ces draps secs avec celle qui est partie depuis longtemps sous la
terre.
Je
cherche le souvenir d'une constellation de grains bruns sur sa
cuisse.
Pour
moi être victorieux c'est se lever dans le petit matin sans
pousser un grognement, et me dérouiller en silence.
Ma
mémoire est une tombe indécise.
Ce texte est le fruit d'un atelier d'écriture animé par Emmanuelle Malhappe (merci à elle) en novembre 2014, et proposé par Ascaé (association de soutien, de conseil et d'accompagnement à l'écriture). Il a ensuite été lu lors d'une déambulation théâtrale au Chai du Terral à Saint Jean de Védas pour commémorer la première guerre mondiale.
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