Il a fallu des semaines inquiètes pour la vie.
Des semaines sombres avec des questions plein le lit. Manquer de
temps, l’étouffement qui vient. Tout qui se serre. Le travail
payant qui passionne et qui pompe. De la crise et de l’agitation.
Oui, quoi, de l’agitation ! Le jour, la nuit. Et puis bloquer. Ces
quelques pavés dans l’agenda, blocs noirs numériques. Deux
soirées, trois. Une proposition. Les mots dans l’enveloppe,
l’espace à l’intérieur du bloc, deux heures, trois. Les mots
dans l’enveloppe, et tout l’espace autour. Avoir pensé et ne
plus penser. Même pas vouloir rêver, juste écrire. Retrouver le
jaillissement des treize ans, quand ça coule au bout du stylo et
qu’il n’y a rien d’autre à faire. Pas de voix, pas de musique,
juste le rythme. Défaire le langage. L’appétit de défaire le
langage. Et deux blocs d’un temps contraint par tout le reste. Le
quotidien comme source, un monde inquiétant et pénible pour que
l’écriture devienne un recours. Et puis non. C’est plus simple
que ça, ça jaillit. Une nouvelle fois comme à treize ans, c’est
tout. Avant la résurgence il a fallu s’emmerder à vouloir écrire
un roman, à vouloir faire ce métier-là, puis celui-ci, peut-être
que toute l’énergie dépensée avant. Bof, je sais pas, ça semble
si simple. Rassembler les conditions d’une agitation, la canaliser
dans une enveloppe de mots. Une rencontre, un groupe, deux blocs
libres, des mots, une vie un peu chiante. Et puis avoir treize ans à
nouveau. Je vais vous dire vraiment. Il a fallu des morts en famille,
n’être même pas née, une grammaire qui déborde ce désespoir,
la nécessité de vivre et celle de dire, les sourires tristes, l’âme
qui s’exalte, la folie des mondes, les solitudes adolescentes,
l’once de méchanceté, l’insatisfaction, la vie tellement
normale, les baisers à la tisane, les bords du terrain, les
après-midi manqués, les émissions de radio, les écrivains qui
parlent, les années perdues, le moment venu, les efforts, ce qui
coule de source, le reste, l’eau, l’eau, l’encre, avoir treize
ans dans une salle pleine de silence, et des alexandrins qui causent
tous seuls. Il aura fallu pleurer au fond d’un ventre, une salle
pleine de silence et une grammaire en crue.
Commentaires bienvenus !
(Ce texte a été écrit en mars 2018 en contribution à l'atelier d'écriture proposé par François Bon, sur son site le Tiers Livre, à partir d'un texte de Marguerite Duras.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à commenter ce texte... La parole vous est donnée : saisissez-là !