lundi 2 avril 2018

Le bloc noir

Il a fallu des semaines inquiètes pour la vie. Des semaines sombres avec des questions plein le lit. Manquer de temps, l’étouffement qui vient. Tout qui se serre. Le travail payant qui passionne et qui pompe. De la crise et de l’agitation. Oui, quoi, de l’agitation ! Le jour, la nuit. Et puis bloquer. Ces quelques pavés dans l’agenda, blocs noirs numériques. Deux soirées, trois. Une proposition. Les mots dans l’enveloppe, l’espace à l’intérieur du bloc, deux heures, trois. Les mots dans l’enveloppe, et tout l’espace autour. Avoir pensé et ne plus penser. Même pas vouloir rêver, juste écrire. Retrouver le jaillissement des treize ans, quand ça coule au bout du stylo et qu’il n’y a rien d’autre à faire. Pas de voix, pas de musique, juste le rythme. Défaire le langage. L’appétit de défaire le langage. Et deux blocs d’un temps contraint par tout le reste. Le quotidien comme source, un monde inquiétant et pénible pour que l’écriture devienne un recours. Et puis non. C’est plus simple que ça, ça jaillit. Une nouvelle fois comme à treize ans, c’est tout. Avant la résurgence il a fallu s’emmerder à vouloir écrire un roman, à vouloir faire ce métier-là, puis celui-ci, peut-être que toute l’énergie dépensée avant. Bof, je sais pas, ça semble si simple. Rassembler les conditions d’une agitation, la canaliser dans une enveloppe de mots. Une rencontre, un groupe, deux blocs libres, des mots, une vie un peu chiante. Et puis avoir treize ans à nouveau. Je vais vous dire vraiment. Il a fallu des morts en famille, n’être même pas née, une grammaire qui déborde ce désespoir, la nécessité de vivre et celle de dire, les sourires tristes, l’âme qui s’exalte, la folie des mondes, les solitudes adolescentes, l’once de méchanceté, l’insatisfaction, la vie tellement normale, les baisers à la tisane, les bords du terrain, les après-midi manqués, les émissions de radio, les écrivains qui parlent, les années perdues, le moment venu, les efforts, ce qui coule de source, le reste, l’eau, l’eau, l’encre, avoir treize ans dans une salle pleine de silence, et des alexandrins qui causent tous seuls. Il aura fallu pleurer au fond d’un ventre, une salle pleine de silence et une grammaire en crue. 

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(Ce texte a été écrit en mars 2018 en contribution à l'atelier d'écriture proposé par François Bon, sur son site le Tiers Livre, à partir d'un texte de Marguerite Duras.)

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