Langue liminale
Je ne peux pas choisir. être
d’un côté ou de l’autre de la langue, ce n’est pas possible.
Il va falloir construire un endroit viable. Le rêve d’être non
plus découpée : entière. La frontière ne t’appartient pas,
elle s’impose à toi, de l’extérieur. Comme ces traits tracés à
la règle sur le continent africain, et qui rendent les peuples fous.
Travailler à l’entre-deux-langues. La
poésie ne dit pas ce qu’elle va faire. Elle ne donne pas
d’explication. La langue universitaire est programmatique,
annonciatique, bien syntaxique, explicatique, un peu toxique… Et
pas toujours esthétique. Moi je désire une langue-frontière, une
langue qui pense en poésie.
Alors écrire dans cet entre-deux. Faire une
littérature de la couture, une littérature couturière. Passer le
texte dans le chat de l’aiguille et coudre les deux langues
ensemble. En faire, pourquoi pas, un vêtement ample et confortable,
dans lequel je sois bien à mon aise, et que je puisse porter en
toutes occasions.
« Frontières
à transgresser […]
Limites
à faire bouger […]
Périmètre à définir […] Possible construction, à la fois
cognitive et fonctionnelle, d’un espace alpin liminal »
L’entre-deux c’est moi. L’arc alpin… La
frontière devient crête. Et je suis les Alpes.
Être les Alpes entières plutôt que la limite
entre deux pays. Beau programme !
Et le rituel, alors ? S’il fallait passer
d’une langue à l’autre, et considérer l’espace de
l’entre-deux : l’autour-la-limite, ce
serait quoi ?
Le rituel liminal m’a tout l’air d’être
dans le jeu avec les mots. Ce sont les mots qui nous disent comment
faire pour transgresser, pour passer d’un côté à l’autre de la
langue. Traverser les montagnes. Les Alpes, pieds nus dans la neige.
Oui, mais avec des mots - des mots-chaussettes. Et des images, qui
arrivent sur le dos des mots. C’est l’irruption d’une métaphore
en plein effort de théorisation qui me semble être du rituel
liminaire pour passer, se frayer un chemin de l’un à l’autre. Et
c’est là, dans cet espace liminal entre pensée et poésie, que je
suis bien. En ligne de crête.
Liminalité - frontière
« La
liminalité comme figure particulière de la frontière et de la
limite »
D’accord.
Et la frontière intérieure, c’est quoi sa
liminalité ?
Frontière : ce qui sépare le pseudonyme de
la personne (de l’auteure).
Liminalité : l’autour-la-limite.
Le sas. Ce qui permet le passage de l’un à l’autre. Là où les
bords deviennent le centre.
Est-ce qu'un pseudonyme peut s'incarner ?
Est-ce qu'un nom peut devenir quelqu'un ?
Et inversement ?
De l’un à l’autre… C’est quoi le rite de
passage ? Un rite pas sage. Une zone-marge.
C’est la langue-du-moi.
ma
langue-à-moi.
Celle qui coud les morceaux
Construit le vêtement
Et gomme les lignes trop dures.
Avec une langue-à-soi comme rituel de
passage des frontières intérieures, nous pourrions peut-être même
être bien.
« Liminal. Ça pourrait être un nom
d’escargot. » a dit Marie.
Mais oui, la liminalité, ça bave ! C’est
la limite qui est débordée, le coloriage qui dépasse, le mélange
autour de la démarcation.
Comment la langue, si pleine du monde,
devient-elle un rituel de passage des frontières intérieures ?
« Liminarité
= évidement : processus de distanciation vis-à-vis des
significations et conventions du rituel »
Alors : évider la langue de ses conventions
pour qu’elle devienne la langue-à-soi, celle qui permet de
passer, de traverser les Alpes en mots-chaussettes, de se balader sur
les crêtes...
Et là,
Avec nos mots-chaussettes dans la neige,
Avec un vêtement ample et confortable,
Avec vue, depuis la crête, sur les deux versants,
Avec une langue-à-soi qui bave et brouille
nos frontières intérieures,
On n’est pas mal.
Non ?
Merci à Juliette Mezenc d'avoir publié ce texte sur son site motmaquis
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