jeudi 2 décembre 2010

Une journée avec F.



Note aux intéressés : Jusqu'ici, j'ai réservé ce blog à mes impressions et productions littéraires. Après moult réflexion, je viens de décider que j'allais m'autoriser à parler d'autres sujets qui me tiennent à cœur. Ouverture avec la chronique que voilà.
  

F. a 15 ans, il est en classe de 3ème. Sa mère l’envoie tous les jours à l’école, correctement vêtu et nourri, propre et reposé. Il manque parfois la première heure du matin, invoquant des péripéties diverses et variées survenues entre son lit et le collège, qui dénotent surtout une imagination débordante, doublée d’un manque d'appétence évident pour le scolaire. Il se présente en classe avec du retard une dizaine de fois par semaine, la plupart du temps alors qu’il est déjà dans le collège.

9H30 : pour aller en cours au 2éme étage, F. passe par le 1er étage, fait un petit signe à chacun de ses copains déjà installés dans les autres salles de classe (qui a eu la bonne idée d’installer des vitres sur le côté des portes ?), voire ouvre la porte d’une salle d’anglais pour faire rire les élèves et embêter la prof  “oh, ‘scusez-moi, j’croyais que c’était ma classe !” F. finit par entrer dans son cours alors que tous ou presque ont déjà sorti leur affaires. Là, il se pose doucement sur une chaise au fond, et, sans retirer son blouson, sort un semblant de cahier, appuie ses coudes sur la table, pose son menton dans ses mains et attend patiemment que la sonnerie retentisse, environ 50 minutes plus tard.

10H40 : A la fin de la récréation, F. a soudain très mal au ventre, se présente au bureau des surveillants, qui, habitués à ces petits maux de fin de récré, lui demandent d’arrêter son cinéma et de monter en cours, ou l’envoient voir l’infirmière si elle est présente dans l’établissement et que F. insiste au delà du raisonnable. Ainsi renvoyé avec bienveillance, mais fermeté, des uns aux autres, explicitement “recadré” sur l’obligation d’aller en classe malgré un prétendu mal de ventre, F. finit par arriver en classe après tout le monde. Là, il se pose lourdement sur une chaise au fond, et, sans retirer son blouson, sort un semblant de cahier, appuie ses coudes sur la table, pose son menton dans ses mains et attend patiemment que la sonnerie retentisse, environ 40 minutes plus tard.

11H30 : F., un peu las d’enchaîner les heures de cours, tente de nouveau un passage au bureau des surveillants, où le CPE le fait de nouveau reconduire en cours, malgré un problème au genou droit “Mais M’dame, je viens de tomber dans les escaliers !”. En classe, dès son arrivée, il interrompt le professeur à de nombreuses reprises, souvent pour des motifs complètement décalés, n’ayant rien à voir avec le cours, et fait rire toute la classe. Au bout de 30 minutes de patience, excédé et pour pouvoir faire cours, l’enseignant envoie F. passer le reste de l’heure en salle de permanence, avec les surveillants. Là, F. retrouve d’autres élèves, qui, comme lui, ne tiennent pas plus de deux heures d’affilée en classe. Selon qu’on est en début ou en fin d’année, les surveillants (= personnel n’ayant reçu aucune formation en terme de pédagogie ou d’éducation) tentent encore de les mettre au travail en s’asseyant à côté de chacun, ou baissent les bras, plus ou moins vite.

15H : après avoir assisté (avec son entrain habituel) à la première heure de cours de l’après-midi, F. repasse par la vie scolaire à l’inter-cours. Là, il s’aperçoit qu’on installe, en raison de l’absence de nombreux profs, plusieurs classes dans plusieurs salles de permanence. Ni une ni deux, il se glisse discrètement dans une salle et, noyé dans la masse, réussit à passer, incognito, une heure entière avec une autre classe de 3ème que la sienne, au lieu d’être en cours. Lorsque, plus tard, on lui demandera des explications sur son absence en classe, il répondra, avec aplomb et raison, “ben quoi, j’étais au collège !”

16H10 : fin de la récréation. Alors qu’il a fini ses cours, F. est toujours au collège. Aujourd’hui, il n’est pas collé. Il peut donc quitter le collège sans que quiconque ne le lui reproche. Mais il toujours là. Dans son errance entre la perm, où s’agitent les collés (beaucoup sont ses copains) et la salle d’aide aux devoirs, où un surveillant et un prof font travailler quelques élèves, F. atterrit finalement au bureau des CPE. On lui propose alors d’intégrer l’aide aux devoirs jusqu’à 17H, ce que F. accepte avec une bonne volonté évidente, quoiqu’un peu incertaine. Dix minutes plus tard, F. est de retour au bureau des CPE, accompagné de l’enseignant chargé de l’aide aux devoirs : “cet élève empêche tout le monde de travailler ! On ne peut pas le garder, c’est vraiment IMPOSSIBLE !” Et F. d’être raccompagné. A la porte. Mis dehors.

Dans la soirée : F. est rentré chez lui. On imagine son cartable posé dans l’entrée d’un petit appartement d’une cité HLM toute proche du collège. Personne n’y touche, à part peut-être le petit neveu, âgé de deux ans, qui, intrigué par les bandes fluorescentes sur le côté, ira parfois jusqu’à ouvrir le sac et dessiner une belle maison dans le carnet de correspondance de son tonton. Le cartable inutile repartira le lendemain, tel quel, accroché sur le dos de F. comme un fragment de son armure d’écolier décrocheur.

Pour compléter :
Les résultats scolaires de F. sont très faibles (moins de 7 de moyenne générale, avec une excellente note en Education Physique et Sportive, moins de 6 en français et moins de 4 en maths). Depuis plus de 3 ans, chaque conseil de classe constate que F. se refuse à entrer dans les apprentissages. Le redoublement n’aurait été qu’une perte de temps puisque F. ne travaille pas du tout. Cette situation est connue depuis l’école primaire, mais toutes les propositions de l’école ont été mises en échec par F. et sa famille. Derrière ces refus répétés, il y a la crainte de n’être pas “comme tout le monde” et celle de laisser l’échec apparaître aux yeux de tous. Pourtant, à la fin de son année de troisième, F. devra être affecté au lycée (général, technologique ou professionnel). Vu ses résultats, F. se verra, au mieux, proposer une place dans un CAP. Pour l’instant, le travail sur l’orientation se résume donc, pour F., à faire un choix entre différents CAP accessibles aux élèves faibles.
Heureusement, le redoublement de 3ème est de droit pour les familles. Aussi, s’il n’obtient pas satisfaction, F. pourra rester un an de plus au collège. Tout va bien !












2 commentaires:

  1. Oui jusque là tout va bien. Hélas !

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  2. Et dans 7 ans environ, F accompagnera son fils pour sa rentrée chez les touts petits et il lui dira : "tu sais faut travailler à l'école, moi j'aimais pas ça mais de mon temps, c'était pas pareil... on n'avait pas de jouets à l'école.."
    Allez, bon courage pour demain.

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