mercredi 10 avril 2019

Semainier ou peut-être journal #1

A certains moments je ne parviens plus à écrire. Trop d’objets encombrent la scène, et l’absence d’écriture devient un de ces objets. Quelqu’un d’indélicat a déposé là des caisses pleines d’autodépréciation, ici des valises ouvertes dont débordent les figures d’auteurs-bourrés-de-talent, des vrais- artistes-qui-ont-fait-le-choix-de, et qui projettent leur ombre sur l’ensemble du plateau. L’éclairagiste a l’air de trouver que ces gens n’ont jamais d’entraves – sans doute ce n’est pas vrai mais leur ombre est bien épaisse. Ce doit être le puissant projecteur des réseaux sociaux, qui fait cette ombre dense. Je suis dans l’ombre. Sur ma peau elle se transforme en une onction poisseuse. Je ne peux quitter la scène, je suis collée. Je crie un peu mais personne n’éteint le projecteur. Je suis le lapin dans les phares, figé jusqu’à ce que le monde passe, autour et sur lui.

Pour contrer cette tendance à l’assèchement, pour retrouver mouvement, j’ai envie de tenir un journal, un semainier, quelque chose qui m’oblige à une régularité même quand je suis dans la panne. Oui, dans le moteur en panne. Je suis la chaîne du vélo lorsqu’il a déraillé. Vous savez, la chaîne, elle est molle et vidée de toute énergie, on voit bien qu’elle est triste de ne servir à rien. Elle ne sait plus quel sens ça a d’être là, si elle n’est pas entraînée par les dents qui tournent.

C’est vrai quoi.

Les dents qui tournent.

Un semainier, donc. On dirait que tous les mercredi matins j’écrirais au moins un texte, une humeur, un état (métaphorique de préférence) pour garder une trace du chemin dans lequel je suis. Parfois au creux de l’ornière, parfois dans la descente, le vent dans les oreilles. Parfois chaîne du vélo. Parfois sur le pont que je construis pas à pas depuis quelques mois. Bref, j’ai envie de dire ici ce qui se trame en souterrain, dans la vraie vie de Juliette Cortese lorsqu’elle n’est pas Juliette Cortese. Le lien que je tente de tisser entre écriture et travail rémunéré, entre ce qui se déploie dans mon travail avec l’écriture et la littérature, et ce qui bouge dans mon travail d’accompagnement et de formation. C’est volumineux et compliqué.

Est-ce qu’un semainier sera suffisant ?

Voilà. A chaque tentative de mettre l’écriture en projet je suis aspirée par le vertige. Ce sera trop. Ce ne sera pas assez. Tu n’auras pas le temps. Tu n’iras pas au bout. Comme s’il y avait trop à dire pour pouvoir le dire. Voilà la rumination qui tue dans l’œuf la création. Le ne-pas-savoir-ce-qui-va-surgir arrête le moteur, déraille la chaîne.

Voilà. 

Liste des textes à écrire

 

Texte(s) qui raconte(nt) les séances d’écriture avec les assistantes familiales, quand j’ai les larmes aux yeux pendant les lectures, tant leurs textes sont forts et beaux de ce qu’ils racontent et de comment ils le racontent.

Texte(s) qui cause(nt) de Juliette Cortese quand elle n’est pas Juliette Cortese, et qui di(sen)t quelque chose de clair sur les sentiments confus suscités par les liens complexe entre la personne et le pseudonyme, en référence à Peter Parker et Spider-Man (c’est un minimum, vous ne pensez pas ?). 

Texte(s) qui cause(nt) des lectures et des retours qu’on fait en atelier, et qui dit à Antonin Crenn que je suis touchée par son texte, là

Texte(s) qui garde(nt) active l’écriture dans le quotidien.

Texte(s) déjà plus ou moins écrit(s) sur ce qu’il se passe avec les vidéos, l’instant de filmer avec le téléphone et ce que ça produit.

Texte(s) des empêchements divers et variés, trop nombreux ou trop douloureux pour être racontés.

Texte(s) où on ne sait pas ce qui va surgir. 




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