Hier
soir j’ai enfin regardé La Pointe Courte d’Agnès Varda. Depuis
le temps que j’en avais envie. La Pointe courte, c’est tout près
de chez moi, j’y suis allée il y a dix jours. Une sorte d’hommage
en retard. J’ai pris plein d’images.
Au début du film, j’avais des pensées pour Anne Savelli et
pour Juliette Mézenc dont – pour une raison que j’ignore – la
promenade à la Pointe Courte en mai 2018 a laissé une trace vive
dans ma mémoire. Peut-être parce que j’avais échangé quelques
mots avec Anne la veille de cette ballade, parce que Ditta Kepler
m’avait fait forte impression, parce que je terminais cette formation sur les ateliers d’écriture où Juliette est
formatrice et m'a beaucoup appris.
Je regardais les images d’Agnès Varda en me disant que c’était
beau et tendre, en pensant que c’était étrange tous ces sétois qui n’ont
pas du tout d’accent, alors que depuis que je suis arrivée ici
j’ai bien vu - entendu - que leur accent est des plus incompréhensibles. Je me
demande si le film a été doublé, je ne suis pas allée vérifier. En
voyant les enfants de la Pointe Courte, je pensais à mon
copain Serge, un sétois né en 1950 ; le petit Daniel dans sa boîte en
bois, ça aurait pu être lui. Mais Serge, les premières fois où il
m’a parlé, je n’ai pas compris ce qu’il me disait. Il faut un
peu de temps, pour comprendre un sétois !
Et puis surgissent Philippe Noiret et Silvia Monfort. Ils sont
drôles, à traverser les lieux avec leur valise : lui et sa coupe moyenâgeuse ; elle, son
visage quasi-extraterrestre. Ils poursuivent pendant tout le film un
long dialogue poétique, précis, juste, sur leur histoire d’amour
dans le temps qui passe.
Les anguilles glissent sur l'écran, les hippocampes immobiles
nous regardent du coin de l’œil, les chats font de longs étirements
d'acteurs capricieux, le linge qui sèche dessine ses ombres délicates. Mes pupilles se délectent de chaque minute.
Je glousse de plaisir quand, pendant une scène où des
pêcheurs se parlent, la caméra glisse sur le décor, se détourne
de la scène, admire longuement les morceaux de bois, l’étang,
le paysage… Les personnages continuent leur dialogue, pas contrariés d’être ainsi délaissés. Naît alors une
complicité intense avec la personne derrière la caméra. Il y a la
vie qui continue, quoique fasse la caméra, où qu'elle regarde. Il y a l’histoire qui
n’en est pas une, ou pas seulement pour la caméra.
L’effet est sidérant de réel, d’exactitude.
Les méditations amoureuses du couple se superposent
littéralement, dans les plans, au décor de la Pointe. Le
contraste est puissant entre les préoccupations des pêcheurs –
l’eau contaminée de l’étang et l’interdiction de pêcher les
coquillages, la mort d'un enfant, un jeune couple qui se cherche et
l’inquiétude du père, le séjour en prison du jeune homme qui
sort pour les joutes – et le long poème d’amour à deux voix
porté par les parisiens et leurs accents de théâtre grec.
Il n’y a presque pas d’interaction entre les deux mondes. Certains plans
le disent, avec une sorte de fureur, avec violence. En 1954, Agnès Varda nous dit, dans
les creux d'une esthétique somptueuse, que les mondes sociaux sont imperméables.
Chapeau.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à commenter ce texte... La parole vous est donnée : saisissez-là !