vendredi 15 juin 2018

Il pleut

Il pleut. Écrire la pluie en marchant dans la rue. Dans la flaque qui s’étale au milieu de la rue. Dans le bruit plus sonore de la ville mouillée. Dans l’épouvantable procession des bottes. Dans les reflets des vitrines sur chaque pierre, chaque bitume, chaque bordure de trottoir même. Dans la ville kaleïdoscopée par l’eau tombée du ciel. Dans la pluie d’été, dans la pluie d’hiver, dans toutes les pluies de nos mémoires, et dans ces eaux qui brument et font chatoyer les odeurs. Juste après la pluie, dans la ruelle aux pavés luisants, on entend la voix de celui qui dit, marchant derrière, que le parfum est tellement bon. Et devant elle rit, dans une vieille veste en cuir. A Granvelle, sous les arbres, on reçoit une grosse goutte échappée d’une feuille, grosse goutte coulée longtemps sur les autres feuilles, chue de l’une à l’autre dans un périple de goutte, se nourrissant de ses sœurs rencontrées en route, dialoguant avec l’écorce de l’arbre tout au long du chemin, jusqu’à se jeter avec délectation dans le cou du passant pressé, impatient d’un abri et remontant son col. Cette fraîcheur simple qui monte avec la pluie. Ces échos de voitures qu’on entend dans le petit matin, quand on sait sans ouvrir les yeux qu’il pleut. Et les dalles de la place Saint Pierre qui deviennent tant glissantes que de vieilles dames grommellent des insultes pour le maire, à chaque averse. Et puis dans la rue des Granges, devant le Bar de la Poste, on s’arrête au risque d’être repéré, on se fixe là sous la pluie, dans une immobilité de cheval. A travers la vitre, soudain écarquillé dans tout son intérieur, on regarde ces images sur l’écran, d’un orang-outang qui se bat avec une machine à couper des arbres. Le grand singe roux revient à la charge, n’abandonnera pas devant la machine. La scène dure quelques minutes. Les vieux attablés somnolent. La gouttière achève de décoller ses affiches, et fait sa toilette. Les pavés coupés, plats et glissants, quoique plus petits dans cette rue, continuent de luire. La ville s’essuie doucement. On repart songeur, rêvant d’être soi-même un Don Quichotte animal. 

Un texte à lire avec les autres, sur Tiers Livre, l'atelier d'été de François Bon: une proposition chaque jour, plus de 100 contributeurs, pour une belle aventure collective dans la langue.

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