Nous sommes le matin. Il fait frais. Je passe devant une
boulangerie. J'ai une petite faim. Du bout de mon index recourbé,
j'accroche le e de boulangerie et tire sur le mot peint en blanc sur
la vitrine. Je l'enfourne dans ma bouche comme un morceau de
barbe-à-papa, en moins collant. Je mache et me délecte du mot
boulangerie. Il a un léger goût de brioche chaude, beaucoup moins
sucré qu'on pourrait le penser. Je donne une formation à la
détection des grands chiens rouges brillants. Lorsque je prononce le
mot émancipation, toutes les perruches s'échappent de mon corps et
mettent le bazar dans la salle de formation. Dans l'assemblée des
gens rient, d'autres pleurent. Les perruches entonnent un chant
révolutionnaire, puis se regroupent en l'air, comme la patrouille de
France, et forment brièvement un portrait de Karl Marx, pas très
ressemblant. Puis, calmées, elle reviennent dans mon giron. La
formation reprend. Je me demande comment je vais les nourrir.
J'achète un panini au fromage à la cafétéria de l'Université,
mais elles refusent absolument d'en manger. En sortant, je croise
Pierre
Barrault, qui évolue lentement dans une nuée de perroquets
mauves. Il me dit que les psittacidés sont nihilistes, ce qui
explique leurs troubles alimentaires. Je n'ai pas le temps de lui
demander des explications car au même instant deux grands chiens
rouges brillants sont déposés devant l'entrée de l'Université. Le
camion de livraison est un énorme tapir gris. Il cherche à nous
aspirer comme de vulgaires déchets. Les oiseaux commencent à
s'agiter et nous nous tordons de rire en tentant de résister à
l'aspiration du camion tapir. Je suis à l'intérieur du camion.
Pierre Barrault est assis en face de moi dans un fauteuil. Les parois
du camion sont recouvertes d'oiseaux colorés, et ressemblent ainsi à
une muqueuse intestinale. Je suis roulée en boule sur mon nénuphar
et je ronronne. Le camion produit un bruit de digestion agréable.
Pierre Barrault me dit que nous allons voir Cron, que nous n'avons
plus le choix. Mon cœur se serre et je grignote le a de boulangerie
pour me rassurer. La journée promet d'être longue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à commenter ce texte... La parole vous est donnée : saisissez-là !