Je suis dans le jardin du Luxembourg. Je suis
assise sur une chaise métallique couleur vert d'eau. Je suis dans la
cuisine dans ma maison. Pierre Barrault a déménagé, tout est calme, de
son passage il reste seulement une légère odeur de lavande. Je pense que
les choses vont s'arranger, peu à peu. Je revois mon médecin, ce voyage
à Paris n'est peut-être pas une bonne idée. Je suis à Saint Sulpice et
je m'aperçois que j'ai oublié les croquettes. Dans mon corps les cavités
refermées des perruches ne demandent qu'à s'ouvrir, si elles avaient
des mains elles les tendraient. Quelque chose n'est pas guéri. La
proximité des livres, des auteurs et des éditeurs produit un
ébouillantement intérieur. J'ai envie de retourner à la boxe. Je suis
dans le jardin du Luxembourg et je m'entraîne avec un coach. Il a des
yeux très bas, tellement bas qu'ils pourraient concurrencer ses
oreilles, en taille et peut-être en écoute. Un gros nez tordu est posé
juste au dessus de ses sourcils, les ailes de ce nez volettent
tranquillement sur son front. Alors que je boxe ses poings, alors que je
transpire en sautillant, les éléments de son visage reprennent une
place ordinaire. Je suis dans la cuisine. Le four est rempli de linge
sale, la chaleur tournante produit une drôle d'odeur, un peu safranée.
L'odeur attire une multitude de petites chauve-souris qui viennent taper
au carreau, peu à peu elles sont si nombreuses qu'il n'y a plus aucune
lumière dans la cuisine. Je cherche une lampe torche. Je suis assise sur
la chaise métallique. Les boxeurs poussent des petits grognements mais
la voix d'Hédi Cherchour couvre le son de leurs poings frappés. Autour
de ma chaise métallique, il y a d'autres chaises métalliques qui
soutiennent des personnes aussi lumineuses que variées. Il y a Claire Lecoeur, il y a Anne Savelli et Virginie Gautier, il y a Guillaume Vissac , Hédi Cherchour et puis il y a Antonin Crenn,
et Céline que j'ai rencontrée ce matin. Chaque personne est nimbée
d'une lumière différente, spécifique. J'essaie de contenir l'ébrouement
souterrain des perruches dans les cavités. Je sens qu'il va y avoir une
nouvelle éclosion bientôt, mais je ne voudrais pas interrompre la
lecture d'Hédi Cherchour. Je me concentre. Je boxe toujours. Sautille.
Tape. Je suis dans l’Ami 8 « ça fait un peu peur : c’est la veine qui a
fabriqué les enfants, la veine à l’avant de la voiture en marche et les
enfants sur la banquette arrière. Une veine circule avec force de vivre
et papiers d’identité.»* La veine de la mère est devant mes yeux, à
l'avant de la voiture. Je suis dans la voiture, à l'arrière. Mon frère
et ma sœur jouent à la boxe sur la banquette arrière. Ça fait un bruit
de claquement sec. Je suis sur ma chaise métallique, j'écoute Hédi
Cherchour et mon corps devient langue. Pas une seule et grande langue,
mais une multitude de petites langues qui luisent crachouillent et
postillonnent. Les langues s'agitent au rythme de la voix d'Hédi
Cherchour, le texte cinglant qui ferraille avec le vent fait bruire les
langues dans ce jardin. Comme France culture, la pluie apaise les
perruches, à l'intérieur de mes cavités. Je suis un peu gênée, je me
demande si les autres personnes présentes voient toutes les langues qui
se meuvent dans l'air de cette après-midi tranquille. Je suis allongée
dans la canopée au sommet des arbres du jardin. Le son de la voix d'Hédi
me parvient, comme les claquements répétés des gants de boxe. Je
regarde le ciel traversé par le serpent lové dans la veine de la mère, «
le serpent est le signe des Abid Cheraga »*. Je regarde le ciel qui
ressemble à ma mère. D’en haut on voit tout le jardin. Je boxe encore un
peu les gants du coach jusqu'à ce que les éléments de son visage soient
revenus à leur place. Les chaises métalliques sont vides. A la place
des personnes, leurs clartés assises ici l’instant d’avant, il ne reste
que quelques gouttes d'eau. Je vais acheter un petit paquet de
croquettes au cas où, je rendors les perruches en leur récitant un poème
de René Char, quand on a une fois ouvert les yeux, on ne peut plus
dormir. Une perruche à peine éclose me rétorque avec aplomb que la
citation n’est pas exacte et qu'il s'agit d'un poème de Pierre Reverdy.
En passant à hauteur d'un véhicule j'examine mon reflet dans une vitre
pour m'assurer que les langues ondulantes ne sont plus visibles. Mon
corps a repris sa forme initiale. Les perruches brisent une à une
l'opercule fragile de mes cavités. Je me demande si j'irai écouter les
lectures hommage à Antoine Emaz demain, que va-t-il encore se passer ?
Je rejoins les autres au Marché de la Poésie. Je me fais discrète. Tout
cela est bien gênant et me complique l'existence.
* les citations sont extraites du livre d'Hédi Cherchour, Nouvelles de la ferraille et du vent, aux éditions publie.net.
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