mercredi 15 mai 2019

Artalburite #8

8 juin 2019

Je suis dans le jardin du Luxembourg. Je suis assise sur une chaise métallique couleur vert d'eau. Je suis dans la cuisine dans ma maison. Pierre Barrault a déménagé, tout est calme, de son passage il reste seulement une légère odeur de lavande. Je pense que les choses vont s'arranger, peu à peu. Je revois mon médecin, ce voyage à Paris n'est peut-être pas une bonne idée. Je suis à Saint Sulpice et je m'aperçois que j'ai oublié les croquettes. Dans mon corps les cavités refermées des perruches ne demandent qu'à s'ouvrir, si elles avaient des mains elles les tendraient. Quelque chose n'est pas guéri. La proximité des livres, des auteurs et des éditeurs produit un ébouillantement intérieur. J'ai envie de retourner à la boxe. Je suis dans le jardin du Luxembourg et je m'entraîne avec un coach. Il a des yeux très bas, tellement bas qu'ils pourraient concurrencer ses oreilles, en taille et peut-être en écoute. Un gros nez tordu est posé juste au dessus de ses sourcils, les ailes de ce nez volettent tranquillement sur son front. Alors que je boxe ses poings, alors que je transpire en sautillant, les éléments de son visage reprennent une place ordinaire. Je suis dans la cuisine. Le four est rempli de linge sale, la chaleur tournante produit une drôle d'odeur, un peu safranée. L'odeur attire une multitude de petites chauve-souris qui viennent taper au carreau, peu à peu elles sont si nombreuses qu'il n'y a plus aucune lumière dans la cuisine. Je cherche une lampe torche. Je suis assise sur la chaise métallique. Les boxeurs poussent des petits grognements mais la voix d'Hédi Cherchour couvre le son de leurs poings frappés. Autour de ma chaise métallique, il y a d'autres chaises métalliques qui soutiennent des personnes aussi lumineuses que variées. Il y a Claire Lecoeur, il y a Anne Savelli et Virginie Gautier, il y a Guillaume Vissac , Hédi Cherchour et puis il y a Antonin Crenn, et Céline que j'ai rencontrée ce matin. Chaque personne est nimbée d'une lumière différente, spécifique. J'essaie de contenir l'ébrouement souterrain des perruches dans les cavités. Je sens qu'il va y avoir une nouvelle éclosion bientôt, mais je ne voudrais pas interrompre la lecture d'Hédi Cherchour. Je me concentre. Je boxe toujours. Sautille. Tape. Je suis dans l’Ami 8 « ça fait un peu peur : c’est la veine qui a fabriqué les enfants, la veine à l’avant de la voiture en marche et les enfants sur la banquette arrière. Une veine circule avec force de vivre et papiers d’identité.»* La veine de la mère est devant mes yeux, à l'avant de la voiture. Je suis dans la voiture, à l'arrière. Mon frère et ma sœur jouent à la boxe sur la banquette arrière. Ça fait un bruit de claquement sec. Je suis sur ma chaise métallique, j'écoute Hédi Cherchour et mon corps devient langue. Pas une seule et grande langue, mais une multitude de petites langues qui luisent crachouillent et postillonnent. Les langues s'agitent au rythme de la voix d'Hédi Cherchour, le texte cinglant qui ferraille avec le vent fait bruire les langues dans ce jardin. Comme France culture, la pluie apaise les perruches, à l'intérieur de mes cavités. Je suis un peu gênée, je me demande si les autres personnes présentes voient toutes les langues qui se meuvent dans l'air de cette après-midi tranquille. Je suis allongée dans la canopée au sommet des arbres du jardin. Le son de la voix d'Hédi me parvient, comme les claquements répétés des gants de boxe. Je regarde le ciel traversé par le serpent lové dans la veine de la mère, « le serpent est le signe des Abid Cheraga »*. Je regarde le ciel qui ressemble à ma mère. D’en haut on voit tout le jardin. Je boxe encore un peu les gants du coach jusqu'à ce que les éléments de son visage soient revenus à leur place. Les chaises métalliques sont vides. A la place des personnes, leurs clartés assises ici l’instant d’avant, il ne reste que quelques gouttes d'eau. Je vais acheter un petit paquet de croquettes au cas où, je rendors les perruches en leur récitant un poème de René Char, quand on a une fois ouvert les yeux, on ne peut plus dormir. Une perruche à peine éclose me rétorque avec aplomb que la citation n’est pas exacte et qu'il s'agit d'un poème de Pierre Reverdy. En passant à hauteur d'un véhicule j'examine mon reflet dans une vitre pour m'assurer que les langues ondulantes ne sont plus visibles. Mon corps a repris sa forme initiale. Les perruches brisent une à une l'opercule fragile de mes cavités. Je me demande si j'irai écouter les lectures hommage à Antoine Emaz demain, que va-t-il encore se passer ? Je rejoins les autres au Marché de la Poésie. Je me fais discrète. Tout cela est bien gênant et me complique l'existence.

* les citations sont extraites du livre d'Hédi Cherchour, Nouvelles de la ferraille et du vent, aux éditions publie.net.

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